Chapitre 9 : Aux Délices de l'Amour

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Au début de l'été qui suivit, notre petit bande accueillit un nouveau membre à la manière d'une famille qui s'agrandit. A partir de ce jour-là, je n'étais plus la seule fille. Marco, l'un de nos amis parmi les plus introvertis, nous présenta sa jeune sœur Marie. "Faites pas attention à elle, expliqua-t-il, j'suis censé rester à la maison pour faire du babysitting, mais j'ai négocié le droit de l'emmener ici avec nous." Marco était un peu injuste avec sa cadette. Evidemment, personne n'allait ignorer la présence d'une petite bouille si mignonne ! Marie avait 12 ans, le jour où nous nous sommes rencontrées. Elle était si timide, presque apeurée, que je ne pus m'empêcher d'apercevoir mon propre reflet dans ses petits yeux en amande. Je me suis immédiatement sentie investie d'une mission, celle de l'accompagner et de la guider, là où moi-même j'aurais tant aimé posséder une grande sœur pour m'indiquer le chemin. Je lui ai immédiatement accordé ma protection, et par extension celle de David. Elle n'était pas encore une adulte, mais plus vraiment une enfant. Je devinais, à son air songeur, qu'une ribambelle de questions se bousculait dans son esprit. Je n'avais certainement pas réponse à tout, mais j'ai pris le temps de me pencher sur chacune d'elle, explicite ou implicite, afin de lui offrir toute l'aide que pouvait apporter mon expérience.

Du point de vue des garçons, Marie était souvent désignée comme un fardeau à trimballer dans toutes nos activités. Il fallait réexpliquer les règles de nos jeux, au risque qu'elle se lasse ou s'endorme pendant la partie. Compter sa part en achetant les pizzas, sachant qu'elle n'avait que rarement de quoi nous rembourser. Lui faire promettre qu'elle ne raconterait rien aux parents pour regarder notre film d'horreur en paix. Surveiller qu'elle ne boive pas d'alcool en douce pendant les soirées. Ne pas laisser les garçons l'embêter. La plupart du temps, Marco oubliait ou abdiquait totalement son rôle de grand frère, et ne se souciait pas de Marie, sauf pour la dénigrer lorsque l'occasion se présentait : "Quoi t'as déjà mal aux pieds ? On est même pas partis depuis une heure ! Je t'avais dit de mettre des meilleures chaussures..." s'exclama-t-il un jour de randonnée.

Finalement, après quelques mois et au prix de nombreux efforts, Marie finit par s'intégrer à la bande de façon suffisamment régulière et homogène pour en devenir un membre à part entière. Gagnant en assurance et son corps se développant peu à peu, elle commença à flirter avec certains garçons. Marco préférait fermer les yeux. La différence d'âge ne semblait pas gêner nos amis. En réalité, sur le plan sexuel et sentimental, ils étaient aussi inexpérimentés qu'elle. J'entrevis rapidement les problèmes qu'allaient engendrer ces relations "expérimentales". Il me semble que l'amour ne connaisse ni âge, ni race, ni genre. Evidemment, les enfants ne sont pas prêts, physiquement comme mentalement, pour y goûter. Nonobstant, le véritable malaise des importantes différences d'âge n'est pas sur le plan physique, mais plutôt un sujet de maturité sentimentale et psychologique. Un adulte, intelligent et expérimenté, va forcément influencer et manipuler les émotions encore très pures d'une personne plus jeune. Nos premiers amours sont de véritables délices grâce à cette même innocence qui nous rend aussi terriblement vulnérables.

Plus le temps passait, et plus il me semblait urgent de discuter avec Marie des sujets importants liés à la sexualité. Evidemment, je n'attendait aucune aide de la part de Marco, ni d'aucun autre garçon de la bande. Au détour d'une soirée arrosée, l'idée d'un "jeu de la bouteille" fut évoquée. Cette proposition me paraissait absurde pour plusieurs raisons évidentes. Nous n'étions que deux filles pour une douzaine de mecs, dont l'une était déjà en couple. Marie, surexcitée par le sucre (et probablement un peu d'alcool bu en cachette), insista lourdement pour  jouer. Marco, conscient qu'il ne pourrait embrasser ni sa sœur ni moi, donc qu'il allait sévèrement s'ennuyer, se rangea de mon avis. David préféra rester neutre, refusant d'entrer en conflit avec sa copine, mais voulant aussi éviter de passer pour un rabat-joie auprès de ses amis. Malgré mes protestations, je compris bien vite que toutes les bonnes raisons du monde ne peuvent venir à bout d'adolescents en rut. La soirée prit donc une tournure singulière lorsque Marco, David et moi nous retirâmes pour laisser les autres jouer à la bouteille. Ne parvenant pas à m'impliquer dans la discussion de notre petit trio, j'observais du coin de l'œil l'étonnante scène qui se déroulait de l'autre côté du salon. Dans mes souvenirs, les participants s'assoient en cercle autour de la bouteille et la font tourner tour à tour. Le goulot désigne celui ou celle qui recevra un baiser de la part du lanceur. La disparité de répartition des sexes conduisit mes amis à inventer une sorte de variante du jeu : celui désigné par la bouteille gagnait le droit d'embrasser Marie. Elle avait 13 ans à l'époque, et nous étions à peine plus vieux (surtout moi). Personne ne faisait rien de mal, dans l'absolu. Après-tout, un baiser ne signifie pas grand-chose à cet âge-là. Chacun était consentant, libre de ses choix et propriétaire de son corps, alors... pourquoi ressentais-je un si profond malaise ? Je n'étais ni jalouse, ni en colère. Je crois que ce que je ressentais ressemblait plus à de l'inquiétude. La petite Marie, que j'avais juré de guider et de protéger, s'engageait sur une voie qui ne la rendrait certainement pas heureuse. Elle brûlait la mèche par les deux bouts. Après quelques "smacks", respectueusement pudiques, les baisers commencèrent à s'enflammer. Nos amis entreprirent un véritable concours de soupe à la langue et, bien qu'impuissante pour y mettre un terme dans l'immédiat, je compris que je ne pouvais pas laisser une telle chose se reproduire. Je devais avoir cette discussion sérieuse avec Marie, celle que je redoutais et repoussais depuis quelque temps, afin de l'aider à resituer ses émotions dans un domaine respectable et cohérent.

Alors, ce soir-là, mes yeux se sont tournés vers David. Il était presque aussi mal à l'aise que moi, mais parvenait à mieux le cacher. De son côté, il aidait surtout Marco à encaisser le coup. Il tentait de le distraire, de détourner son attention loin des rires insouciants de Marie qui découvrait avidement les possibilités offertes par sa propre sexualité. Je suppose qu'il accomplissait son devoir d'ami, et qu'il me laissait le soin d'intervenir ultérieurement auprès de Marie. Nous n'avions pas besoin de nous parler pour comprendre ce genre de choses. Nous étions une équipe soudée et coordonnée. Il était le tank, et moi la prêtresse. Il prenait l'agro, et me confiait les soins. Oui, nous jouions aussi un peu trop à D&D et à la console à cette époque !

J'ai cherché l'inspiration pour ce que j'allais dire à Marie en observant David et en me remémorant nos premiers ébats. Aujourd'hui encore ce sont de précieux souvenirs qui me réchauffent le cœur lorsque je me sens seule par les longues nuits d'hiver. Marie était encore vierge, et j'avais sur elle cet avantage de l'expérience. Peut-être était-elle seulement en recherche de repères ? Si tel était le cas, je souhaitais sincèrement l'aider à trouver quelques réponses pour prendre la bonne direction sur le chemin du bonheur.

 Peut-être était-elle seulement en recherche de repères ? Si tel était le cas, je souhaitais sincèrement l'aider à trouver quelques réponses pour prendre la bonne direction sur le chemin du bonheur

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La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant