Chapitre 28 : Ulysse et Pénélope

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Bien qu'Achille et Hector aient brillé par leurs exploits au combat, Ulysse reste à mes yeux le véritable vainqueur de la guerre de Troie. Déjà, parce qu'il a survécu. Ensuite, parce qu'il a eu l'idée du fameux cheval de bois qui permit de mettre fin à l'interminable siège. Et pour finir, l'Odyssée est un roman épique bien plus cool que l'Iliade, passionnant et ponctué par une fin heureuse.

Pénélope, épouse d'Ulysse et reine d'Ithaque, a tout de même attendu le retour de son mari pendant 20 ans ! C'est presque l'équivalent de la durée totale de ma vie jusqu'à ce jour. Le trône d'Ithaque était convoité par bien des notables et des opportunistes. Télémaque, héritier d'Ulysse, vivait dans la crainte permanente d'un attentat de la part des conspirateurs. Sa mère, aimée du peuple et réputée d'une grande beauté, parvint à le protéger durant toutes ces années. Elle conserva le pouvoir sur la petite île grecque, régnant avec sagesse et fermeté en l'absence de son mari. Chaque jour, elle devait repousser une horde de prétendants qui venaient demander sa main. Bien qu'elle sut qu'aucun ne l'aimait vraiment, car tous convoitaient le pouvoir, elle dut certainement refuser les avances de toutes sortes d'hommes, dont certains probablement jeunes et beaux, lui promettant bonheur et satisfaction sexuelle. Toutefois, Pénélope tint bon jusqu'au retour d'Ulysse, déployant quotidiennement autant de ruses que lui lors de ses aventures, dont la fameuse tapisserie décousue n'est qu'un exemple parmi des centaines. Lorsqu'Ulysse revint enfin réclamer son trône, elle eut même la prudence et la sagesse de s'assurer qu'il n'était pas un usurpateur usant de quelque sortilège pour lui ressembler. Oui... puis à l'époque les photos n'existaient pas, et c'est difficile de reconnaître quelqu'un qu'on a pas vu pendant 20 ans !

Épouse fidèle, prudente et rusée. Mère aimante et protectrice. Reine juste et vénérée. Que Pénélope ait réellement existé ou bien qu'elle ne soit que l'invention d'Homère, elle demeure un exemple de femme parfaite à mes yeux. Elle ne cherche ni à dépasser Ulysse, ni à se revendiquer son égale, pourtant elle brille de ses propres feux sans ramper dans l'ombre de son mari. Veiller sur Ithaque n'était certainement pas aussi passionnant qu'affronter Circée et les Cyclopes, mais demande tout autant d'astuce et de discernement. Chacun ses aventures, inutile de chercher à usurper la place de l'autre ! La complémentarité plutôt que l'égalité. L'harmonie plutôt que la rivalité. L'homme et la femme, l'épouse et le mari, le père et la mère, la reine et son roi.

J'ai rencontré trop d'illuminées se prétendant féministes, qui préféraient le conflit à l'harmonie. De tristes mégères frustrées, incapables d'assumer leurs propres échecs. Tirant à vue sur la gente masculine, par simple amertume pour ne pas avoir su s'en faire aimer. Personne n'a dit qu'il fallait se taire devant l'injustice, ni accepter de suivre une voie qui ne nous inspire pas. Cependant, à force de se plaindre pour des broutilles, on finit par perdre toute crédibilité lorsqu'on se dresse pour une cause réelle.

Trêve de philosophie. Ulysse et Pénélope, aussi magnifiques soient-ils, demeurent un mythe. Lorsque mon Ulysse est parti, les prétendants se sont bousculés, et je les ai accueillis les cuisses bien écartées comme l'indigne hétaïre que j'étais. Une reine, avilie par la corruption de sa propre chair, abandonnant toute majesté pour s'adonner à la dépravation des orgies, perd alors le respect du roi, du peuple et de la cour. Car même les prétendants à qui elle offre ses charmes, finissent par la renier, et la considèrent publiquement comme un sujet de moqueries.

Le lendemain de la fête du BAC, je me suis réveillée dans le lit d'un hippie crasseux dont je n'étais même pas certaine du prénom. J'avais menti à mes parents, dans un texto qui prétendait que j'allais dormir chez Marco et Marie. J'étais toujours à la Ciotat, dans une chambre qui puait le renfermé. Sur la table de chevet, au milieu d'une multitude de minuscules boulettes brunes éparpillées, un cendrier mal vidé empestait le tabac froid. À en juger par leur état, les draps n'avaient pas été changés depuis des mois. Mon amant à usage unique ronflait encore à 11h alors j'ai décidé d'aller explorer sa chambre. Tout m'y parut de mauvais goût, du tapis tâché aux posters qui semblaient insulter la culture rastafarienne tant ils relevaient du cliché. En jetant un œil par la fenêtre j'eus la surprise de découvrir que, contrairement aux apparences, je n'étais pas dans un squat mais dans une jolie villa avec jardin et vue sur la mer. Je trouvais cela rassurant, j'aurais un peu flippé dans le cas contraire. Encouragée par ce repère civilisationnel, j'ai rassemblé mes affaires et je me suis dirigée vers la porte. En chemin, j'ai croisé une étagère avec quelques livres que j'avais moi-même déjà lus. Amusée, j'ai tendu la main. La couche de poussière révéla qu'ils n'avaient été ni ouverts ni nettoyés depuis fort longtemps, si toutefois quelqu'un les avait ouverts un jour.

La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant