Chapitre 8 : Une Mésange au Printemps

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Heureusement pour moi, David s'est montré compréhensif. Je lui ai confié tous les détails de ma situation. "Je sais que c'est ridicule... c'est pas un vrai handicap comme les gens imaginent alors..." ai-je ajouté. "Stop ! Je t'arrête tout de suite. Les pathologies psychologiques sont souvent dépréciées par le public car trop méconnues. Pourtant, ce sont de véritables maladies." affirma-t-il avec aplomb. "Oui, mais parfois je me dis que si je faisais vraiment l'effort..." J'ai soupiré en guise de ponctuation, et il en a profité pour reprendre la parole. "Même avec beaucoup d'efforts, ça prend du temps pour guérir d'une blessure pareille."

Nous sommes arrivés à l'entrée de ma rue et il a insisté pour m'accompagner jusqu'au pied de mon immeuble. Au moment de se dire au revoir, je me suis tournée face à lui, et il a plongé son regard dans le mien. Mon cœur battait à tout rompre. Vous vous attendez à un premier baiser ? J'en mourais d'envie ! J'étais prête à le recevoir tendrement, en fermant les yeux. Je voulais qu'il me prenne les mains, qu'il approche son visage tout près du mien, et que nos lèvres se rencontrent enfin ! Rien de tout cela n'est arrivé. Il m'a seulement souhaité une bonne soirée et confié ces quelques mots : "Je suis honoré d'avoir entendu ta voix. Merci de me faire confiance et de me parler comme tu le fais."

Je suppose que vous regrettez l'absence de baiser ? J'étais comme vous sur le moment : déçue. Avec du recul, j'ai compris qu'il n'avait pas voulu "profiter" de la situation. Pendant la balade, notre discussion avait été amicale plus que romantique, David avait renoncé à m'embrasser par pudeur et par respect. Mesurant la profondeur de ma détresse, il s'était encore plus épris de moi, mais souhaitait me venir en aide avant de me séduire. Embrasser une petite jeune fille timide qui vous confie ses malheurs n'est pas digne d'un chevalier... et à partir de ce jour-là, c'est exactement ce qu'il choisit de devenir pour moi : un chevalier !

L'hiver est passé si vite, que je m'en suis à peine aperçue. Début janvier, il m'a offert un petit cadeau de Noël. Un simple pin's en forme de note de musique, que je me suis empressée d'accrocher à mon blouson. C'était une sorte de code, un message secret entre nous. Les autres n'y voyaient qu'une référence au courant métal, mais je devinais que cette double croche symbolisait en réalité le timbre de ma voix. Les beaux jours reviennent tôt en Provence, nous avons recommencé à nous balader ensemble dès mi-février. Le parc reprenait des couleurs, et moi aussi. Mon maquillage était moins sombre, mon sourire plus radieux. J'ai commencé à adapter ma garde robe pour enfin chercher à me mettre en valeur physiquement. Je voulais lui plaire, même s'il n'y avait encore aucune romance "officielle" entre nous. Nous avons partagé nos lectures et nos rêves, je lui ai appris les bases du langage des signes afin de continuer à communiquer en public, nous avons échangé des centaines de SMS et ma langue s'est déliée petit à petit. Elle s'est déliée jusqu'à se retrouver enfin dans sa bouche par une belle soirée d'Avril. Il aura fallu presque 6 mois pour en arriver là !

Les années qui suivirent furent les plus belles de toute ma vie. Mon silence, jusqu'ici, avait été aussi froid que la mort. David avait pris le temps de me réchauffer, doucement, de me ranimer aussi méthodiquement qu'un secouriste. Il m'a littéralement ressuscitée ! J'ai progressivement reconquis l'usage de la parole en public. Je suis restée naturellement timide, mais pour vous donner une idée de l'ampleur du changement : j'ai même pu passer l'épreuve orale du bac de français l'année suivante. Mon chevalier était un amoureux de la nature et des grands espaces. Un sportif de plein air, randonneur et alpiniste, suffisamment féru de biologie pour identifier de visu presque toute la faune et la flore de la région ! Il m'a initié à ses passions, j'ai fait mes premières vraies randos, mon premier bivouac, ma première nuit allongée dans l'herbe à contempler les étoiles dans le ciel d'été. Je goûtais enfin à toutes ces merveilles de la nature dont j'avais lu tant de descriptions dans les livres !

Au bout de quelques temps, lorsque mon handicap était presque entièrement dissipé, il m'a présenté à ses amis. Tous des garçons. Une sacrée bande de joyeux geeks. Je me sentais un peu perdue dans leurs univers fantastiques, leurs jeux de rôles très détaillés, et leurs interminables débats sur des films qui ne m'avaient parfois laissé qu'un vague souvenir. Au tout début, certains n'étaient pas très à l'aise en ma présence, mais j'en comprenais parfaitement la raison. Après avoir été rejetée et ignorée tant d'années, comment n'aurais-je pas pu reconnaître les blessures laissées par la même exclusion ? Un jeune adolescent en pleine construction psychologique, rejeté jusqu'ici par toutes les filles qu'il avait tenté d'aborder, devient naturellement méfiant avec les suivantes. J'ai appris leurs codes et leurs jeux, je me suis immergée dans leur univers, et ils m'y ont finalement tous accueilli à bras ouvert. Ils firent ensuite preuve d'une extrême prévenance envers moi, et je suis devenue leur petite protégée. Parfois, lorsque je m'asseyais sur les genoux de David lors d'une soirée, je ressentais le paradoxe entre sa fierté et la solitude jalouse de nos amis célibataires. Nous plaisantions beaucoup, et les discussions sérieuses étaient rares, surtout celles concernant l'amour, mais chaque fois j'essayais de les rassurer et de les encourager. J'affirmais que leur tour viendrait, et qu'il ne s'agissait que d'une question de temps. En vérité, je n'en savais rien, mais je souhaitais sincèrement leur bonheur à tous.

J'ai commencé à beaucoup sortir les week-ends, et mes parents se sont inquiétés. Ils m'ont posé tout un tas de questions embarrassantes et ont souhaité rencontrer mon petit ami. David est venu dîner à la maison. En dépit de l'agressivité passive de mes frères et mon père, il est parvenu à détendre l'atmosphère et à gagner la confiance de toute la famille. Il a fait preuve de patience pour accepter temporairement les préjugés. De retenue sur les sujets polémiques, même lorsqu'il était en désaccord. D'humour lorsque la situation s'y prêtait. Il a même menti un peu, notamment au sujet de l'alcool, et je riais intérieurement comme une spectatrice devant un comédien improviste et talentueux ! Je pouvais ressentir son aisance ou son malaise au gré des situations, rien qu'à l'intonation de sa voix. Ses tics gestuels, que je connaissais par cœur, le trahissaient aussi à mes yeux. Finalement, il a gagné l'estime de tout le monde, j'étais moi-même bluffée par sa prestation. "Reviens manger quand tu veux !" a même conclu ma mère lorsqu'il nous a souhaité une bonne nuit sur le seuil de la porte.

Durant les mois qui suivirent, j'étais si heureuse que cela se ressentait dans tout ce que j'entreprenais. Mes dessins au fusain devenaient romantiques. Les lettres manuscrites dans mes cahiers de cours s'appliquaient à enrouler sensuellement chaque courbe. Je traversais la rue jusqu'à l'arrêt de bus en sifflotant comme une mésange au printemps ! Nous passions de plus en plus de temps ensemble, partions régulièrement à l'aventure, et chaque fois je me sentais complètement en sécurité aux bras de mon chevalier. J'étais sa princesse, il prenait soin de moi et me protégeait en toutes circonstances. Je connaissais l'odeur et le goût de sa peau. La texture de ses cheveux entre mes doigts. Je pouvais reconnaître la forme de ses lèvres rien qu'en les embrassant. Nos échanges devenaient de plus en plus intimes et tactiles. Il me tardait de goûter enfin à cette formidable expérience que tous les lycéens convoitent, et de pouvoir m'unir physiquement à l'élu de mon cœur.

 Il me tardait de goûter enfin à cette formidable expérience que tous les lycéens convoitent, et de pouvoir m'unir physiquement à l'élu de mon cœur

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La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant