Chapitre 29 : Le Bocal de Cendres

233 14 4
                                    

Je ne m'attendais pas à ce que David ait déjà quitté l'hôpital. D'un autre côté, si je m'étais donnée la peine de prendre de ses nouvelles de temps en temps, j'aurais forcément été au courant ! Il réintégrait la vie sociale après de longues semaines d'absence. Mon chevalier s'était héroïquement interposé entre moi et cette bande de voyous, au prix de nombreuses fractures, entraînant de graves blessures. Les os de ses bras avaient plutôt bien résisté, et fort heureusement ses vertèbres n'avaient rien subi d'irréparable. En revanche, ses côtes avaient été enfoncées à deux endroits entraînant des dommages aux organes qu'elles n'avaient miraculeusement pas perforé. Son visage avait été déformé au niveau du nez, d'une arcade sourcilière et d'une pommette. C'était assez horrible et inquiétant à voir au début, mais les médecins avaient fait du bon travail et sa tête avait quasiment retrouvé un aspect normal lorsqu'il revint parmi nous.

Étonnamment, l'ensemble de ces blessures avaient été provoquées par des coups de pieds et des écrasements alors qu'il était à terre. Il n'avait subi aucun dommage sérieux lors des affrontements "à la loyale", mais les racailles sont du genre à s'acharner sur un adversaire isolé lorsqu'elles en ont l'occasion, plutôt que d'avoir à se comporter en humains civilisés.

Lorsqu'il franchit le portail, s'appuyant sur l'épaule de Marco, tout le monde fixa David avec un inconfort palpable. Alexandre avait eu le réflexe de se dégager de mon étreinte et de s'éloigner de moi, nous supposâmes donc ne pas avoir été surpris. J'étais célibataire à présent, techniquement nous ne faisions rien de mal. Toutefois, flirter avec l'ex d'un pote, ou avec le pote d'un ex, passe déjà pour un manque de respect. Lorsque la rupture est encore très récente, cela ne fait qu'aggraver l'incident. Si cet ami est un valeureux chevalier blessé, ayant risqué sa vie pour protéger la mienne quelques jours auparavant, nous arrivons au paroxysme de l'ingratitude et du manque de respect.

Nous en étions tous conscients. Chaque membre de notre petite bande portait en lui la culpabilité de taire l'affront qui se déroulait à l'insu de leur ami convalescent. Pourtant, nul n'en a laissé échapper le moindre mot. Après une courte hésitation générale, due à l'embarras que j'avais provoqué, tous ont soudain acclamé et applaudi le retour du héros. Les plus joyeux ont couru l'embrasser et l'ont hissé en triomphe pour le porter jusqu'à la terrasse. Habituellement, tout retardataire à la fête, ainsi accueilli et soulevé de terre, aurait fini à l'eau sans aucune pitié. Soucieux de la santé de David, bien que cette possibilité ait été suggérée, nos amis s'abstinrent de le jeter dans la piscine. Ils le déposèrent sur un transat en lui apportant des chips et une bière, afin de patienter jusqu'à l'arrivée des saucisses, délaissées près d'un feu mourant et abandonné. L'apéro classique d'une soirée BBP !

"Alors raconte !" s'empressa d'interroger Jérôme, sans se donner la peine d'être suffisamment précis sur le sujet envisagé.

"Si t'as envie ou besoin de quoi que ce soit, surtout n'hésite pas à demander !" proposa Marco en tant qu'hôte exemplaire.

"Euh... je sais pas trop... On a des olives pour l'apéro ?" suggéra David, préférant recentrer l'attention sur la fête et ses victuailles, plutôt que de laisser les autres s'apitoyer.

En dépit de ses efforts pour préserver au maximum l'ambiance normale de notre BBP, mon ex-chevalier fut bien obligé de livrer quelques anecdotes de ses aventures. Outre les détails médicaux dégueulasses dont il avait pu être témoin lors de son séjour à l'hôpital, il expliqua s'être cassé deux métacarpiens, non pas en recevant un coup, mais en l'assénant ! Il s'agit des os de la main, entre les doigts et le poignet. Visiblement, son poing avait percuté si fort le crâne de son adversaire, qu'il avait réussi à provoquer des fractures dans sa propre main ! L'histoire suscita un fort étonnement, mais laissait aussi imaginer la vaillance avec laquelle il s'était défendu. N'ayant pas pu passer le BAC en même temps que les autres, il se présenterait à une session de rattrapage plus tard, mais devait impérativement se rendre dans un lycée éloigné, où seraient hébergées les épreuves. Logique, puisqu'il ne devait certainement pas être le seul élève victime d'une maladie ou d'un accident pile à la mauvaise date. Chaque année, un établissement de la région recevait donc les candidats empêchés lors du premier essai. Il n'avait toujours pas racheté de voiture, de toute façon il ne pouvait pas encore recommencer à conduire, mais ses parents lui avaient promis de compléter la prime d'assurance pour l'aider un peu le moment venu.

La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant