Chapitre 21 : Entretien avec un Vautour

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Nous approchions de la mi-juin. La sécheresse caniculaire des journées interminables se transformait subitement en lourde moiteur dès que le soir approchait. Au-dessus des collines, de lents crépuscules se reflétaient sur toutes les vitres de la ville et aveuglaient ses habitants. La Provence se transformait quelques heures en parfait décor de western spaghetti. Alertée par mon instinct, je me suis retournée brusquement. Quelqu'un venait de pénétrer dans ma zone personnelle sans y avoir été invité !

Samir se tenait là, à quelques centimètres de mon visage. Un sourire carnassier se dessina sous ses petits yeux gris luisant de malveillance.

"Qu'est-ce que tu veux ?"

J'ai reculé d'un pas.

"Tu devines pas ? a-t-il rétorqué en se rapprochant davantage.

- J'suis pas dans ta tête.

- Tu vas me faire comme a Julien, sinon j'balance tout à ton mec.

- Hors de question. Tu te prends pour qui ?

- Comme tu veux. Ce petit intello va crever de honte en apprenant que sa meuf se prend tout le lycée dans le cul.

- T'ose même pas le regarder en face. T'auras jamais les couilles de lui parler.

- Tu veux parier ?

- Il ne te croira pas. Tu vas juste réussir à le mettre en colère et tu fais clairement pas le poids.

- Julien c'est pas le premier. Il y en a eu d'autres avant, tout le monde est au courant. Tu crois qu'il te fait encore confiance ?"

Ce dernier argument me frappa comme une gifle en plein visage. C'était sa parole contre la mienne. En temps normal, David n'aurait jamais mis ma fidélité en doute. Il aurait certainement remis cette vermine en place par une brève démonstration de force. Cependant, après l'épisode avec Marco, sa confiance envers moi était mise à l'épreuve. Selon Julien, j'avais déjà une réputation de "suceuse". Ajouter à cela qu'il avait probablement répandu d'horribles rumeurs et se porterait témoin contre moi. J'avais beau chercher des arguments pour ma défense, le calcul tombait en ma défaveur. Samir, aussi méprisable soit-il, avait compris la précarité de ma situation. Il profitait de ma détresse comme un véritable charognard guettant les dernières forces d'un animal blessé.

"Entendu, ai-je finalement abdiqué, mais pas ce soir. Je vais être en retard pour la gym, on en reparle demain.

- Aboule ton numéro.

- Pourquoi ? On se revoit demain j'ai dit.

- Pas confiance. Les petites putes blanches comme toi, ça ment et ça se défile."

Prise au piège, j'ai récité les 10 chiffres permettant de joindre mon portable. Il m'a faite sonner, pour être sûr, puis s'est faufilé comme un rat le long du caniveau en direction du centre-ville. Je n'ai pas réussi à me concentrer pour la dernière séance de gym de l'année. L'angoisse me donnait des maux d'estomac. Mardi prochain aurait lieu le goûter d'adieu des terminales.

Après le sport, j'ai vérifié mes textos. David me souhait une bonne séance, avec 10min de retard. Samir, dont je n'avais pas encore enregistré le numéro, continuait ses outrages verbaux. À en juger par son discours, il me semblait presque en colère contre moi alors que je n'avais absolument rien fait. Ses paroles transpiraient d'amertume. Une aigreur, une frustration, à l'encontre de toutes les femmes. Peut-être avait-il, lui aussi, été trahi ou déçu ? Peut-être s'était-il senti rejeté par quelques jeunes filles de son âge ? "pute blanche" revenait tel un leitmotiv. Il cumulait sexisme et racisme dans la même phrase à chaque message. J'ai vite compris qu'il était un individu fondamentalement malveillant et réellement dangereux. Frustré, sadique et imprévisible. Ce qui l'excitait, ce n'était probablement même pas l'acte sexuel en lui-même, mais le pouvoir qu'il exerçait sur moi. Cet odieux chantage, la possibilité de m'insulter et de le rabaisser à chaque phrase. S'il y prenait tant de plaisir, je compris rapidement qu'il aurait forcément recours à la violence physique pour satisfaire cette rage. J'étais en danger.

La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant