Chapitre 11 : Eclats d'Insouciance

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Avez-vous déjà pris le temps d'observer les étoiles une nuit ? Par temps clair, loin des villes pour éviter toute pollution atmosphérique ou lumineuse. La première fois que David m'a emmené bivouaquer à la montagne, je fus saisie de surprise et d'émerveillement. Je ne sais pas comment il a réussi à convaincre mes parents de me laisser découcher. Peut-être a-t-il seulement gagné leur confiance. Peut-être avaient-ils constaté mon bonheur et la disparition progressive de mon mutisme. Quoi qu'il en soit, je n'avais encore jamais réellement vu le ciel avant cette nuit-là. J'avais bien-sûr souvent levé les yeux à différents moments de la journée et de la nuit, mais je n'avais jamais été suffisamment coupée du monde pour apercevoir un spectacle aussi grandiose. J'étais bien partie en vacances avec ma famille quelques fois, mais nous ne nous étions jamais suffisamment éloignés de la civilisation. Ma première nuit sous la tente, à la fin de l'été, fut aussi torride que merveilleuse. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ? Afin d'introduire la nouvelle Lucy. Au mois de septembre, en entrant en classe de 1ère S, même si je continuais à me cacher timidement derrière mon look gothique, je me sentais complètement renouvelée. J'avais retrouvé la parole. J'avais des amis. Je partageais une idylle merveilleuse avec mon chevalier. Mes parents me laissaient sortir à ma guise, même rentrer tard ou dormir chez David et nos amis. J'aimais toujours autant les livres, mais je passais moins de temps le nez dedans. Je commençais à m'intéresser à d'autres choses. J'avais même complètement pris goût à nos excursions dans la nature. Cette beauté tranquille et apaisante qui règne sur les montagnes et les forêts. L'eau claire et chantante des ruisseaux d'altitude. Peu à peu, je laissais mon cœur s'ouvrir à toutes sortes de nouvelles choses. En tant qu'hypersensible, j'ai toujours eu beaucoup de mal à canaliser mes émotions. Dans la nature, je me sentais plus libre, plus vivante, et suffisamment en confiance pour exprimer honnêtement mes sentiments. Les arbres devinrent mon refuge quelque temps, un havre de paix, où David me guidait et m'accompagnait pour m'initier à ses passions.

De retour au lycée, je faisais toujours partie des marginaux, des parias comme ma petite bande de geeks. Cependant, j'avais enfin une identité, un clan auquel me rattacher. J'ai dévoré avidement les cours, consciente de l'importance de l'instruction pour mon futur, mais aussi parce que j'avais enfin atteint un point d'équilibre. Jusqu'ici toutes les matières me paraissaient trop simples, les professeurs répétaient en boucle des leçons barbantes pour des élèves supposément lents, sans arriver à capter leur attention. Il m'a souvent semblé que les mauvais élèves n'étaient pas réellement moins intelligents, ils étaient seulement intéressés par d'autres choses que les cours. Leurs amis, leurs jeux, leurs amourettes... Je n'arrivais pas à me mettre à leur place au collège, et j'étais agacée de perdre mon temps à cause d'eux. Finalement, cette année-là j'ai compris pourquoi les cours manquaient d'intérêt comparé aux expériences excitantes qu'offrait la vie en société. Ce que j'appelle le point d'équilibre, c'est ce moment où j'ai commencé à suivre des cours à un rythme cohérent. Je comprenais au fur et à mesure, on ne perdait pas trop de temps à répéter les mêmes leçons, on avançait et on apprenait de nouvelles choses ! Le rythme me convenait enfin, je me sentais impliquée et intéressée. Un très bon début d'année s'annonçait tandis que l'été indien déclinait lentement sur Marseille et ses environs.

A la pause déjeuner, ou lors des récréations, je n'étais plus jamais seule. Rétrospectivement, cette année de 1ère a été l'une des meilleures de ma vie, peut-être ma préférée, jusqu'à un certain point. Enfin libérée du carcan de l'exclusion, je me suis sentie capable de grandir, de mûrir, d'évoluer. J'ignore si le corps et l'esprit sont si étroitement liés, mais à partir du moment où mon comportement et mes idées ont commencé à changer, la puberté s'est soudainement manifestée et mon anatomie a connu une évolution fulgurante. En l'espace d'un trimestre, j'ai pris quelques centimètres en hauteur, mon visage s'est affiné, ma poitrine a gagné deux bonnets, et mes hanches ont épousé la silhouette érotique et féminine d'un élégant violoncelle. Je me sentais enfin devenir femme, dans mon esprit meurtri qui guérissait doucement en s'abreuvant d'amour, et dans mon corps sublimé par l'éclosion tardive d'un jeune bouton de rose enfin devenu fleur. Nos petites expériences estivales m'avaient donné goût à la séduction, et je voulais toujours plaire davantage à mon chevalier. Ma garde-robe a connu une brève transition. Je gardais un look gothique, pour la plupart des occasions, mais je commençais à mettre en valeur ce nouveau corps dont j'étais si fière. Mes jambes, jusqu'alors toujours cachées, sont apparues sous les jupons brodés, les mini-shorts effet déchiré, les jupes à carreaux d'écolière. Adieu, rassurants et confortables sweat-shirts à capuche placardés Iron Maiden et Metallica ! Bonjour aux nouveaux corsets, épaules dénudées, débardeurs serrés, et chemisiers négligemment déboutonnés en haut pour laisser entrevoir mon décolleté. Officiellement, il semblait clair dans mon esprit que je faisais tout ça pour plaire à David. Pourtant, force est de remarquer que le regard des hommes en général changea à mon égard. Inconsciemment, je prenais ma revanche sur ces années d'exclusion et de blessants rejets. Je devenais enfin désirable, et je comprenais la fierté éprouvée par ces filles au corps mature qui étaient devenues de vulgaires bimbos en l'absence de limites dans leur quête aveugle de séduction généralisée. Plus personne ne pouvait m'ignorer. Garçon ou fille, jeune ou vieux, hétéro ou gay, leurs yeux s'arrêtaient enfin sur moi et je n'étais plus ce fantôme transparent dont on fuit honteusement le regard ! Alors insidieusement, goutte après goutte, un terrible poison commença à se déverser en moi. Une graine corrompue venait d'être plantée, et elle se mit à germer en cachette, silencieusement derrière mes lèvres closes, dans mon esprit malade et aliéné.

L'année scolaire suivit son rythme marqué par les vacances saisonnières, les évaluations trimestrielles, les fêtes de fin d'année... Je continuais de grandir et de m'affirmer. Notre idylle avec David suivait son cours tranquille. J'appris à connaître sa famille, il se rapprocha de la mienne. Il était fils unique, connaissait à peine sa mère, élevé par un père déprimé, lui-même brisé par cette femme qui avait abandonné égoïstement les deux hommes de sa vie. Ils avaient reconstruit leur quotidien sans elle, rebâti une famille, en accueillant belle-mère et demi-sœur. David entretenait un rapport cordial avec elles, gardant à l'esprit qu'elles n'étaient pas de son sang, mais que cette femme et son enfant avaient ravivé l'espoir et la joie dans le cœur de son cher père. Comme vous l'avez probablement deviné, la famille de mon chevalier était plus aisée que la mienne. Nous vivions en appartement, dans un quartier HLM que les politiciens s'emploient à qualifier de défavorisé, pour lâchement éviter des mots plus réalistes et durs. David habitait dans une petite maison en périphérie de la ville, entourée d'un jardin fleuri où se trouvait la fameuse piscine citée au chapitre précédent. Si je vous parle de sa famille, c'est parce qu'ils se sont toujours montrés très accueillants et généreux envers moi. Ils m'ont même invitée à leurs vacances à plusieurs reprises. J'étais un peu gênée au début. Puis, lorsque j'ai appris à mieux les connaître et les apprécier, nous avons partagé des moments joyeux et inoubliables. A mes yeux, David était l'homme le plus beau de l'univers. Cependant, en côtoyant sa famille, je compris rapidement que j'étais la première fille qu'il ramenait à la maison et présentait à ses parents. Le chevalier le plus vaillant du royaume, le prince régnant sur mon cœur, n'était en réalité qu'un jeune homme avec ses propres doutes et ses peurs. Adorablement gentil, intellectuellement brillant, mais aussi parfois timide et maladroit à sa manière. Vulnérable et fragile, comme je l'étais. Un geek, un intello passionné de sciences et de littérature, rejeté par ses camarades comme je l'avais été. Nous étions semblables sous certains aspects mais j'ai commencé à ressentir une différence perturbante et de plus en plus terrifiante : il ne plaisait à aucune autre fille que moi, tandis que des dizaines de garçons me suivaient du regard chaque jour !

Jour après jour, cette idée commença à infecter mon esprit. Les mois passaient. J'étais une jeune femme comblée. Mon mutisme semblait guéri. Ma famille me soutenait dans mes choix et démarches. Mes nouveaux amis atypiques et marginaux, devenaient en réalité extrêmement drôles et attachants lors de nos soirées. Mon copain prenait soin de moi en toutes circonstances, m'aimait sincèrement, et m'offrait une vie merveilleuse. Il me respectait, m'écoutait, partageait ses rêves et projets avec moi. Depuis notre première fois, nous cheminions ensemble à l'aventure au travers de nouvelles expériences, répondant aux idées et fantasmes de chacun. Les orgasmes pleuvaient en abondance à toute occasion. Parfois nous nous éclipsions quelques minutes d'une fête pour tirer un coup discrètement en privé, puis nous revenions l'air de rien, en sifflotant. Parfois nos rapports étaient tendres et romantiques, parfois passionnés ou déjantés ! Je n'avais aucune raison de me plaindre, j'avais tout pour être heureuse. Cependant, le bonheur semblait à ma portée, je le touchais du bout des doigts, parfois je le saisissais pour quelques heures, puis il m'échappait soudainement et mon monde paraissait fade et gris. Un sentiment pernicieux s'emparait de moi, il enserrait mon cœur entre ses ongles noirs, et m'abreuvait de son poison jusqu'à m'intoxiquer complètement.

 Un sentiment pernicieux s'emparait de moi, il enserrait mon cœur entre ses ongles noirs, et m'abreuvait de son poison jusqu'à m'intoxiquer complètement

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La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant