Chapitre 20 : Stigmates

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L'orgasme, la douleur, la honte, l'asphyxie et la confusion me plongèrent dans un hébétement passager. J'ai pris quelques secondes pour rassembler mes pensées. Il fallait réagir vite. Si quiconque avait aperçu Julien sortir des toilettes en remontant sa braguette, les curieux n'allaient pas tarder à pousser la porte ! Je me suis redressée. Mon corps entier tremblait de douleur et de honte. Mes jambes me portaient à peine. En m'appuyant contre les lavabos, j'ai levé les yeux vers le miroir sur lequel je m'étais adossée durant les 15 dernières minutes. Mon fantôme s'était changé en démon. Une abominable monstruosité défigurée. L'étranglement avait laissé de vilaines marques rouges autour de mon cou et de longues larmes noires sur mes joues. Je me reconnaissais à peine. Mon visage d'enfant semblait à jamais corrompu par les remords et la pourriture de mes péchés. Je me suis aspergée la figure. J'ai retiré la capote dégoûtante et encore luisante de lubrifiant. Direct poubelle. J'ai nettoyé le plug avec un peu de savon, je le désinfecterai chez moi avant la prochaine utilisation. J'en ai profité pour laver mes mains, comme Ponce Pilate après avoir livré Jésus. Je venais de crucifier mon innocent chevalier au profit de Barrabas le quarterback-truand.

J'ai rassemblé les affaires qui avaient glissé hors du sac renversé. Rangé le plug dans son petit étui de plastique noir. Certaines parties de mon corps nécessitaient une toilette un peu plus "approfondie". Je me suis isolée quelques instants dans une cabine avec ma petite poire à lavements. À mon retour, une fille entrait dans la cabine voisine. Dans l'ambiance sonore désagréable de l'inconnue déversant un flot d'urine continu dans la cuvette, j'ai pris le temps de me démaquiller et me remaquiller complètement afin d'obtenir une toilette fraîche. Il fallait quelque chose pour cacher les marques sur ma gorge. Dans les jours suivants, un choker un peu épais ferait l'affaire, mais je n'avais rien prévu pour couvrir mon tour de cou aujourd'hui.

La lycéenne a ouvert la porte dans un vacarme de chasse d'eau. J'ai fait semblant de l'ignorer en défroissant et réajustant mes vêtements. En haut, ça allait encore, mais ma jupe était un véritable torchon. En réalité, je la suivais du regard. Elle est allée jeter quelque chose à la poubelle. Probablement un tampon. Elle a eu l'air surprise et m'a lancé un regard mi-amusé mi-embarrassé. "Merde, la capote !" ai-je immédiatement pensé. Je n'ai jamais été une grande adepte du microblading, mais j'étais si gênée que j'ai fait semblant de vérifier mes sourcils dans le miroir jusqu'à ce qu'elle parte. Nous n'avons pas échangé un seul mot.

Je vous passe les détails de la suite. Récupérer une capote usagée dans une poubelle publique pour ensuite essayer de la faire disparaître dans les toilettes, c'est pas forcément très compliqué, mais je vous souhaite de ne jamais avoir à le faire. Je n'avais pas encore mangé, et pourtant la faim était le dernier de mes soucis. À 12h55, David sortait de cours pour aller déjeuner. Habituellement, j'attendais la sonnerie dans le couloir devant la porte, puis il m'accompagnait jusqu'à la salle de mon prochain cours. Il ne partait pas manger tant que nous ne nous étions pas embrassés une dernière fois et que la prof n'ait claqué la porte derrière-moi. Ce jeudi là, il était 12h45 passé. Il me restait donc moins de 10 minutes pour trouver une manière de camoufler les marques laissées par Julien sur ma gorge.

J'essayais de trouver une solution, mais la panique gagnait du terrain sur mon esprit à chaque minute ! 12h54. Toujours aucune idée cohérente. Si seulement j'avais une écharpe ou un bandana. Mais comment justifier une telle aberration en plein mois de juin ?! La cloche a sonné. Le vacarme strident des pieds de chaise traînés sur le sol par centaines tous en même temps a résonné dans le couloir. La porte s'est ouverte. J'ai eu envie de m'enfuir. Mon absence aurait été encore plus suspecte que les marques. Il se serait immédiatement inquiété. Alors je suis restée, et j'ai prié intérieurement pour qu'il ne remarque rien. Lorsqu'il est sorti de sa classe, j'ai surgi de derrière un groupe d'élèves et je lui ai donné un baiser passionné. Aussi hypocrite que cela puisse paraître, je l'aimais toujours aussi sincèrement en dépit de mon infidélité. Nous nous sommes embrassés quelques secondes puis je me suis faufilée sous son bras pour qu'il me serre contre lui tandis que nous prenions la direction de ma salle de cours. Finalement, blottie contre lui, il n'a pas eu le loisir d'observer ma gorge. Son propre bras me servait d'écharpe. Je me suis faufilée aussi vite que possible dans ma classe en lui conseillant d'aller manger sans perdre de temps. L'illusion était parfaite. Même un peu trop, j'avais du mal à y croire.

La Laisse et le BaiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant