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C'est bien la première fois que Camille va au cinéma toute seule. Elle n'a même pas demandé à Linesay de l'accompagner. Elle ne connaît personne qui aurait pu être intéressé par le documentaire sur Hubris et elle préfère y aller seule que de se faire accompagner par quelqu'un que ça n'intéresse pas.

Cela fait plus d'un an qu'elle attendait ce documentaire, c'est un malheureux hasard qu'il soit enfin disponible alors qu'Hubris vient de disparaître. Elle espère y découvrir des réponses à ses nombreuses questions, c'est donc particulièrement nerveuse qu'elle prend son ticket, puis patiente.

On est lundi soir, ce n'est pas la soirée la plus animée de la semaine, mais le hall est quand même bien rempli. Ça lui réchauffe le cœur de constater qu'elle n'est pas l'unique fan de l'artiste, prête à payer pour voir un documentaire sur lui, sur grand écran. Cela dit, cet évènement est si spécial qu'il n'y aura qu'une séance, c'est donc la seule occasion de le voir.

Il y a surtout des jeunes, souvent en groupe, quelques personnes seules comme elle. Elle fait des sourires timides, des fois qu'une âme esseulée voudrait se joindre à elle, mais quasi tout le monde a les yeux rivés à son écran de téléphone. Elle a du mal à y croire quand elle reconnaît Oliver, le livreur qu'elle voit régulièrement à l'hôtel, prendre une place pour une séance. Il a l'air seul aussi, elle l'interpelle quand il est à sa hauteur.

— C'est amusant de se rencontrer ici.

— Camille ! Je ne suis presque pas surpris de vous trouver ici.

— Comment ça ? s'étonne-t-elle.

— Je me doutais que vous étiez fan. J'ai reconnu le logo d'Hubris sur votre tatouage.

Leurs regards se tournent machinalement vers le poignet de la jeune femme. D'un sourire entendu, il lui montre sa place. Camille est agréablement surprise de constater qu'il vient également pour cette séance.

— Comme la majorité des gens ici ce soir, j'imagine.

— C'est vrai. Des amis vous rejoignent ? demande-t-elle.

— Non. Je suis un fan solitaire. Personne de mon entourage n'est fan au point de venir au cinéma.

— Bienvenue au club.

Ils se sourient franchement, et c'est tout naturellement qu'ils prennent place dans la file d'attente en discutant sans interruption, pour la première fois. L'un comme l'autre profitent de cette complicité naissante qu'ils avaient tant de fois envisagées.

— J'ai peur et en même temps j'ai tellement hâte, dit-elle pendant que les premières pubs passent sur l'écran. Ça me fait ça à chaque fois que je vais au ciné, mais là, c'est pire, ajoute-t-elle nerveusement.

Le sourire d'Oliver la rassure et le documentaire commence enfin. Deux heures plus tard, Oliver et Camille restent un moment assis à profiter de la musique et se remettre de ce qu'ils ont vu. La vie d'Hubris, Linus, comme ils ne l'avaient jamais imaginé. Le mal être qu'il ressentait, la guerre pour se faire entendre, avoir ce qu'il veut. Le stress que lui procurait les concerts, être entouré d'autant de gens qui ne l'écoutaient pas vraiment.

Le plus plus triste, c'est qu'à la fin, il a l'air heureux, d'avoir trouvé son équilibre. Faire de la musique, voyager, méditer. Mais il restait tout de même Linus Knapp, alias Hubris. Au final, Camille n'a obtenu aucunes réponses à ses questions, pire, elle en a même de nouvelles. Pourquoi être passé à l'acte, alors qu'il semblait aller bien ?

— La dépression c'est un truc qui me dépasse, dit-elle à voix haute.

— Ouais, voir ce documentaire avec cette fin relativement heureuse, en sachant qu'il s'est suicidé quelques mois plus tard, c'est incompréhensible.

GluggavedurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant