Gluggavedur

XV

La reprise du match va bientôt sonner, Camille profite que Quitterie discute pour aller leur chercher une deuxième tournée au bar, et voir si elle repère Jesper quelque part. Il sort à ce moment précis des toilettes, signe qu'il n'avait pas menti.

Peut-être qu'il y avait la queue, comme c'était la mi-temps, pense-t-elle.

Quoi qu'il en soit, elle l'alpague quand il passe à côté d'elle.

— Jesper!

Surpris il s'arrête, lui sourit.

— Some friends joined us at the table. Is that okay for you?

Il avise l'endroit qu'il a fuit quelques minutes plus tôt, au moins ils n'ont pas de téléphone ou d'appareil photo dans les mains. D'un sourire elle comprend qu'il n'y voit pas d'inconvénients. Il profite qu'elle attend ses boissons pour commander également.

— One more for me, please.

Le serveur encaisse Camille et prépare un autre Monaco pour Jesper.

— You know what it is? s'étonne Camille.

— Absolutely not. But you seem to like it so I'm joining you.

Camille s'amuse de son audace, même si ça n'est pas très risqué avec cette boisson. Jesper regarde tout de même le serveur préparer son verre pour essayer de deviner de quoi il s'agit. Un ingrédient rouge vif, dilué dans de la bière pression, puis il remplit le reste avec ce qui semble être de l'eau gazeuse. Jesper est très curieux de découvrir le goût que cela peut avoir. Mélanger de la bière avec d'autres ingrédients ne lui était jamais venu à l'idée.

À vrai dire, il a plutôt l'habitude des boissons plus fortes et s'inquiète un instant que l'alcool ne fasse remonter ses anciennes addictions. Il avait tellement pris l'habitude de s'enfiler plusieurs vers de vodka ou gin avant de monter sur scène, pour essayer de dissiper le stress, qu'il n'a plus vraiment bu d'alcool dans le seul but de partager un bon moment.

Légèrement inquiet, il paye et récupère son verre, puis suit Camille jusqu'à leur place. À peine installés, une clameur commence à monter dans le public, ils ont raté le coup d'envoie de la deuxième mi-temps, les français sont dans la surface adverse, menés au score, mais loin de lâcher l'affaire.

Le public retient son souffle, une frappe superbe d'un joueur méconnu le fait instantanément entrer dans l'histoire, et permet à l'équipe d'égaliser. Tout le bar est en ébullition, les supporters brandissent leurs drapeaux, chantent, s'embrassent. La ferveur est telle qu'elle ne retombe pas pendant plusieurs longues minutes.

Des verres sont renversés, peu importe, on ira s'en payer un autre. Les supporters n'ont pas le temps de s'en remettre qu'un autre français s'illustre en mettant un but. Et quatre minutes plus tard, un deuxième ! C'est le match de l'année, voire de la décennie pensent déjà certains. Un match de folie. Les français ont deux buts d'avance, et même si l'Argentine, toujours vaillante, marque pour la troisième fois en toute fin de partie, c'est trop tard. La France continue son chemin dans le mondial avec tout un pays remonté à bloc derrière eux.

Ils ont été tellement happés par l'ambiance que ni Camille, ni Jesper, n'ont entamé leurs verres. La mousse a disparue et la bière n'est plus très fraîche, mais c'est bien le cadet de leurs soucis.

— Santé ! lance Camille en tendant son verre réchauffé vers Jesper.

— Skál! répond-il dans sa langue natale.

Une fois que Jesper a bu une gorgée, Camille le sonde, la boisson est très douce et l'amertume de la bière cachée par le sucre du sirop et de la limonade, Jesper adore.