XIV

14 3 27
                                    

— Allez, dis-moi ce qu'il a pris.

Quitterie ménage son effet pour faire enrager son amie qui la presse pour savoir ce que Jesper a acheté comme livres. Camille n'a pas revu Jesper de la journée, elle n'a donc pas pu lui poser la question.

— Il en a pris au moins ? Non parce que, tu me ferais pas marcher comme ça, sinon...

Le sourire de Quitterie s'élargit, Camille est prête à craquer.

— Mais oui, il en a pris ! Tous ceux que tu me harcèles pour que j'ai en stock.

Elles se fraient un chemin vers le bar pour commander des boissons avant d'aller se trouver une place pour regarder le match, au milieu des supporters. Camille s'est arrangé pour avoir sa soirée et s'adonner à sa deuxième passion.

— Ah, tu vois que j'ai raison d'insister ! Tu peux me remercier. J'vais finir par réclamer une part sur ton chiffre d'affaires.

Les deux amies rigolent franchement en récupérant leurs Monacos. Avant même de chercher une table, elles entrechoquent leurs verres et boivent une gorgée afin d'éviter de les renverser en allant s'installer.

— Hé, regarde, il est là ton islandais.

Croyant à une blague, Camille lève les yeux au ciel en regardant son ami d'un mauvais œil.

— Je déconne pas. C'est bien lui, là-bas ?

Toujours suspicieuse, Camille regarde dans la direction que Quitterie lui indique, pour découvrir Jesper, seul à une table, en train de lire. Il semble tellement hors du temps, de l'espace, comme s'il avait été posé là par un artiste farfelu. C'est le seul client qui n'est visiblement pas là pour le match.

Camille croit halluciner. De tous les bars que compte Paris, qu'elle était la chance qu'elle le croise ici ? Elle a une irrépressible envie d'aller lui parler, voir quel livre il lit, passer tout le temps qu'elle peut avec lui dans les parages.

— Ça se fait d'aller le voir ? Je veux pas le déranger.

Quitterie s'amuse de la situation, elle connait son amie par cœur et sait déjà que Camille craque pour l'islandais, même si elle fait passer ça pour une simple curiosité jusque-là. Elle la pousse vers lui d'un coup d'épaule.

Camille tente de reprendre une contenance en s'approchant, se demandant ce qu'elle va bien pouvoir lui dire. Camille est à un mètre de sa table, Jesper ne relève toujours pas la tête. Il est vraiment absorbé par sa lecture.

Je me râcle la gorge bruyamment ? Je lui tape sur l'épaule ? Je lui fais coucou ?

Elle hésite toujours sur l'attitude à adopter, tout en espérant qu'il se rende compte de sa présence, en vain.

— So it's true that Icelanders are always reading or writing...

Camille voulait plaisanter, mais à voir la tête que fait Jesper – ses yeux vont bientôt lui sortir des orbites – il semblerait qu'elle se soit trompée. Il referme précipitamment le livre comme si quelque chose l'avait brûlé et fixe Camille si intensément qu'elle se demande un instant s'il la reconnait. Il est vrai qu'avec ses joues maquillées, son jean et son tee-shirt de l'équipe de France, il pourrait s'y perdre.

Finalement, Jesper pose sa main sur son cœur et s'exclame dans sa langue natale :

— Ég var svo hrædd !

Puis il éclate de rire. Camille suppose qu'elle lui a fait peur et commence à rire avec lui.

— I'm so sorry, I didn't mean to scare you.

GluggavedurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant