Après plusieurs semaines de convalescence, Linus est enfin pleinement rétabli. Il est toujours un peu confus face à cette situation nouvelle, inédite et sans précédent. Il est vivant, mais il n'est plus. Il n'est plus Linus Knapp, ni Hubris. Il est quelqu'un d'autre. Un brun un peu gringalet aux yeux noirs, qui arpente les rues de son Reykjavík natal avec un regard nouveau.
C'est sa première sortie, seul, avec sa nouvelle identité. Il a de nouveaux papiers, un nouveau nom, un nouveau visage. Il appréhende un peu en parcourant les trottoirs, mais au bout de quelques minutes, il relève la tête et marche en regardant droit devant lui. Il croise des gens qui l'ignorent royalement et ça lui fait un bien fou. Ne plus être reconnu, marcher incognito sans avoir à se cacher sous une casquette et des lunettes. Voilà ce que lui apporte ce nouveau statut.
Cependant, cette nouvelle liberté lui semble tout de même fragile. Un doute persiste au fond de lui, des questions fondamentales auxquelles il n'a toujours pas les réponses. Comment va-t-il vivre maintenant ? A-t-il envie de tout recommencer de zéro ? Que peut-il garder de son ancienne vie ? L'argent, la musique, la passion, la lecture ?
De retour dans la maison de ses parents, il fouille dans les armoires sans but précis. Il tombe sur un antique Polaroïd que tout le monde a certainement oublié. Remplacé depuis par les appareils photos, et même les smartphones, qui permettent de tout partager avec le monde entier, instantanément. Ça lui rappelle des souvenirs d'enfance, quand ses parents les prenaient en photo, ses frères, sa sœur et lui.
Cette époque lointaine où les souvenirs prenaient vie après quelques minutes d'attente, sur un carton carré aux larges bords blancs. Un style que certains tentent de reproduire avec des filtres et des artifices. L'appareil se déclenche par mégarde lorsqu'il le prend dans ses mains. Il ne se souvient plus comment il fonctionnait et s'étonne qu'il marche aussi vite après des années dans l'oubli. Un instantané, c'est ainsi qu'on appelé les clichés. Aujourd'hui, l'instantané c'est avoir mille likes sur une photo en moins de deux secondes.
Cet appareil lui donne des idées, il a soudainement envie d'apprendre à s'en servir, le maîtriser. Il s'y essaye dans le bureau où il l'a déniché, puis retrouve son père dans le salon. Il déclenche le flash, ce qui surprend Kris.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je ne savais pas qu'on avait encore un Polaroïd. Vous vous en servez parfois ?
Kris semble lui-même surpris de revoir l'appareil.
— Je l'avais oublié aussi. Il marche encore ?
— Apparemment, confirme Linus en faisant une nouvelle photo.
Il pose les morceaux de carton à plat sur la table en attendant de découvrir ce qu'elles vont révéler de ses talents de photographe.
— On ne peut pas dire que ce soit du grand art, se moque gentiment le père de Linus.
— C'est sûr. C'est le modèle aussi qui n'est pas terrible, réplique le fils, taquin.
Ils se regardent en souriant, et la même idée les traverse. Il est bon de partager cet instant père-fils. Linus braque une nouvelle fois l'engin vers son père, mais rien ne se passe lorsqu'il appuie sur le déclencheur.
Devant son incompréhension, Kris intervient :
— Tu ne dois plus avoir de pellicule.
— Ha oui, c'est vrai que ça n'est pas illimité là-dedans.
Encore un contraste saisissant avec la vie d'aujourd'hui. Il n'est pas nostalgique de cette époque, mais il constate à quel point les choses ont évolué et surtout à quelle vitesse. Comme sa carrière, fulgurante. Mais écourtée.
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Gluggavedur
Fiksi PenggemarImaginez, vous êtes une star internationale dans le milieu de la musique électronique, vous êtes la tête d'affiche des festivals. Les paparazzis vous prennent parfois en chasse, la moitié de la population mondiale connait votre nom de scène et vos c...