VIII

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Après avoir salué sa responsable à son arrivée, Camille se décide enfin à lui faire part de son idée de ruban. Son tatouage étant cicatrisé, elle n'a plus besoin de cacher son pansement sous ses manches longues. En revanche, elle doit tout de même dissimuler le dessin à la vue des clients. Dans son métier, elle se doit d'être neutre et ne montrer aucun signe distinctif.

— J'ai eu une idée l'autre jour, regarde, commence Camille en montrant son poignet orné du ruban noué, cachant intégralement son tatouage.

— Joli tissus, dit-elle en le touchant.

— J'ai pensé qu'on pourrait tous porter ce ruban au poignet, au cou ou dans la poche de la veste, pour ces messieurs. Les filles ont leur uniforme et nous aussi, mais ça permettrait d'ajouter une touche de couleur à nos ensembles. En plus le tissus est vraiment de bonne qualité et exactement aux couleurs de l'hôtel.

Alors qu'elles discutent de cette idée, Camille ne peut s'empêcher de rêver au poste en Islande, en se disant qu'elle marque peut-être des points avec cette simple action. Elle devra la présenter aux autres chefs d'équipe de l'hôtel à la prochaine réunion.

En attendant elle regagne son poste après avoir présenté son idée à ses collègues réceptionniste et fait le tour des arrivées du jour. Ils attendent quelques personnes importantes aujourd'hui et elle fait monter corbeilles de fruits, chocolats ou bouquets de fleurs dans les chambres des VIP.

La matinée se déroule sans encombres, c'est l'heure d'affluence pour les départs à l'accueil, Camille décharge ses collègues de tout ce qu'elle peut en commandant les taxis, appelant les bagagistes et voituriers pour les clients sur le départ. Leur mécanique est bien huilée et Camille adore quand tout est fluide.

Une fois la vague passée, elle en profite pour détacher son ruban et mettre un peu de crème sur son tatouage qui la démange. Elle s'accorde quelques instants pour le contempler, les couleurs ravivées par la brillance de la crème. Elle ne s'en lasse pas.

— Bonjour. Excusez-moi, je peux vous laisser ça ?

Surprise, Camille relève la tête et constate qu'Oliver se trouve devant son comptoir. Elle était tellement absorbée qu'elle ne l'a pas vu, ni entendu arriver. C'est un livreur qui vient régulièrement déposer des colis. Il n'est pas rare qu'il s'adresse à elle lorsque les réceptionnistes sont occupés, comme ce matin. Ils se sourient chaleureusement.

— Oui, bien sûr.

Elle examine le colis sous tous les angles avant de signer le bordereau.

— Toujours en bon état avec vous, le complimente-t-elle avec un sourire en coin.

— J'essaye de m'appliquer pour les colis qui viennent ici.

Il ne va pas jusqu'à lui faire un clin d'œil, mais la complicité se lit dans leurs regards. Camille se perd souvent à imaginer le croiser en dehors de l'hôtel, elle est persuadée qu'ils ont des centres d'intérêts communs, comme une intuition. Il ne reste jamais longtemps à discuter, lui devant retourner à ses livraisons et elle à ses clients, c'est ce qu'elle regrette à chaque fois. Ce matin, pourtant, il lui accorde quelques minutes supplémentaires.

— Je n'avais jamais remarqué que vous aviez un tatouage.

— C'est parce qu'il est récent. D'ailleurs il faut que je remette mon bandeau, constate-t-elle en tournant son poignet.

— C'est dommage de le cacher.

Ça ne tiendrait qu'à elle, elle l'afficherait fièrement, mais elle rappelle au livreur que cela peut faire mauvais genre à l'accueil d'un palace. La remarque arrache un petit rire à Oliver qui ne semble pas vouloir se détacher des couleurs du dessin. A-t-il remarqué tous les éléments qui le composent ? Reconnaît-il le logo d'Hubris ?

— Ce serait une tête de mort ou l'insigne d'un groupuscule identitaire, c'est sûr. Le vôtre est coloré, harmonieux, il y a de quoi en être fier. On a beau avoir un pays tolérant, c'est fou comme les préjugés sur les tatouages persistent.

Camille approuve vivement. En Islande, je n'aurais peut-être pas besoin de le cacher. Elle s'apprêtait à verbaliser cette pensée, lorsqu'elle aperçoit un de ses clients se diriger vers elle avec une mine paniquée. Elle se voit donc obligée de saluer son interlocuteur rapidement et à regret, pour accorder toute son attention à un client légèrement anxieux qui cherche désespérément quelqu'un pour dépanner son Aston Martin.

— Avec plaisir M. De Rambouillet. J'ai un ami expert de cette marque, je l'appelle immédiatement.

***

Le soir venu, Camille s'installe confortablement pour sa séance quotidienne d'écriture à Hubris. Cette fois, c'est son entrevue avec Oliver qui l'inspire.

GLUGGAVEDUR

>> Have you ever felt some weird and instant connection with someone? When you meet people, sometimes you instantly like a person, or on the opposite, you are suspicious. It's something no one can explain. You also can be wrong, have a bad first impression and realize later how cool this person is.

>> I have this strange feeling about someone I see at work. It's like an intuition, I bet we could be friends. We are never able to talk more than five minutes, due to our respective jobs and it kills me. It's like we are stuck in this situation. I hope I'll meet him outside the hotel someday.

>> I'm happy I can make this sort of connection anyway. That was impossible a few years ago, I was constantly recognized because my father is kind of famous. Way less than you are, let's be serious, but I kind of inherited his notoriety. Never asked for it, never embraced it, never liked it. But I had to deal with it.

>> It was weird every time I met new people. They already knew who I was – or at least they thought so – before I even opened my mouth. They probably already had an opinion on me, and I had no way to make sure if they were genuinely interested in me, or my money, my name. Hopefully, time goes by and people move on to something else, and I'm glad this is over. At least for now. With the World Cup going on, my father will probably be back on the scene. I hope my mum and I will stay out of the light this time.

>> Notoriety always takes me back to this movie: Snowboarder. An old French movie I saw while I was a teenager. It's about this guy, he works in a small ski station in the Alpes and he's a massive fan of a famous snowboarder. He imagines what it is to be rich and famous and wants that. He's doing everything like is idol, hoping he will become like him.

>> The pro remarks him and take him under his wings, gives him the life he wanted. Drugs, alcohol, girls, competition, at first, he likes it. But he soon realizes all of this wasn't true or eternal. At the end, he goes back to his "small life" and we can imagine he understood fortune and fame are not worth any of it.

>> This movie really moved me like no other. Because that's exactly how I feel, I don't care about fortune and fame, I don't think it's worth anything.

GluggavedurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant