Chapitre 6

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Partager ma chambre avec Selly n'est pas désagréable. Elle s'est habituée plutôt rapidement à mon silence, et elle m'a affirmé que cela ne la gêne pas. Seulement, elle parle tout le temps. Des fois, lorsque j'entre dans la chambre, je la vois, assise sur son lit, ouvrant et fermant sa canne, en train de parler dans le vide. Elle demande ensuite qui est là et en vu de mon silence, elle ajoute « Salut Emily ! » Elle me raconte des passages de sa vie, des détails peu important sur ses parents, de la sensation du sable mêlé à l'eau de mer de Californie — d'où elle a déménagé — sur ses pieds,... De ses paroles, on n'entend que du bien. A croire que le monde est magnifique. Il l'est peut être quand on ne voit rien. Le pire dans la vie n'est peut être pas la perte de quelqu'un, ni les paroles blessantes que l'on peut recevoir ; mais c'est de voir toutes ces choses horribles qu'apporte la vie et ses mystères.

Ses énormes lunettes de soleil au verre trop foncé ne me gênent plus. J'ai pris l'habitude de ne pas regarder ses yeux lorsqu'elle me parle, parce qu'elle ne peut pas le faire non plus. Je pense que je ressens une part de respect pour cette petite. Elle est si forte.

A midi, maman est arrivée. Je n'ai pas vu le temps passer, même avec la matinée de libre. Elle fait connaissance de Selly. Elle a l'air de l'apprécier. Lorsque ma mère annonce tout haut qu'elle va me donner à manger, Selly se lève.

- Je vais vous laisser, alors. A plus tard, Em.

Ma génitrice s'empresse de se lever en lui disant qu'elle allait l'aider, mais je tend rapidement ma main vers elle et empoigne son avant bras. Elle me regarde, choquée. Je me rend compte alors que mon geste peut paraître un peu brusque, violent, alors que je voulais lui éviter une scène gênante. Selly me l'a dit, elle préférerait que les autres n'essaient pas de l'aider à chacun de ses mouvements. Elle se sent mal de refuser leur gentille aide, mais elle est capable de se déplacer d'elle même.

Alors que j'arrive à faire rasseoir ma mère, j'entends la petite aveugle me remercier en souriant, puis sortir de la chambre.

Pendant un moment, ma mère me regarde bizarrement et reste silencieuse. Je regarde la boîte au couvercle bleu qu'elle tient dans les mains et essaie de deviner ce qu'elle contient. Je relève les yeux vers elle et remarque ses sourcils froncés et son air colérique. J'espère ne pas l'avoir blessée. J'espère qu'elle va comprendre, grâce au remerciement de ma coloc, que je l'ai fait pour une bonne raison.

- Emily, commence-t-elle froidement. Prends-tu toujours tes médicaments ?

Mon visage reste neutre alors que mon cerveau sursaute. Je ne comprends pas. Je suis brusquée de sa question. Qu'est ce qui lui fait croire que je ne suis plus mon traitement ?

- Je ne veux pas que tu redeviennes violente, comme avant, explique-t-elle comme si elle avait entendu ma question.

La crainte de son premier regard se change progressivement en colère. Pour deux raisons : la première est que, les actes de violence que j'ai pu causé étaient involontaires ou falsifiés ; et la seconde est que je prend mes médicaments. Je suis tout le traitement qu'elle paie parce que je sais qu'elle fait tout pour pouvoir me soigner, pour moi. Elle n'a pas confiance en moi, et cela me blesse plus que tout. Mais cette douleur devient de la colère, alors je me lève, trop rapidement. La chaise tombe dans un bruit catastrophique et je vais m'asseoir dans un coin de mon lit pour ne pas laisser ma colère exploser. Je serre Pilou dans mes bras, que je n'ai pas lâché de la matinée et lui demande mentalement de m'aider à me calmer.

Seulement, ma mère ne comprend pas et elle s'approche de moi. Je colle mes jambes à mon buste et la regarde, mi-énervée, mi-désolée. Elle me parle mais je n'écoute pas ; j'entends juste cette voix dans ma tête qui me dit de bouger. Tu n'es qu'une lâche, comme d'habitude les choses se passent devant toi sans que tu ne fasses rien. Je me balance doucement, rencontrant le mur avec mon dos lorsque je reviens en arrière. Ma mère me lance un regard inquiet et avance sa main vers moi. Je crois qu'elle me demande de me calmer, ou de la suivre, je ne sais pas, je ne comprends pas. Elle n'a pas confiance en toi, tu devrais en faire autant. Tu sais que les apparences sont trompeuses, non ? Et d'un coup, je vois le doux visage diabolique de Chloé à la place de celui de ma mère. Elle est là, encore, devant moi, elle n'est jamais partie. Le jeu continue jusqu'à ce que quelqu'un ne meure. Mais ce ne sera pas moi.

Le JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant