Chapitre 22

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E M I L Y

Rebecca a été déplacée. Elle est dans le centre de désintoxication, dans un autre bâtiment du centre hospitalier. Je les ai vu l'emmener. Je crois qu'elle me déteste. Le regard qu'elle m'a lancé en me voyant derrière les quatre médecins qui l'ont portée jusqu'à sa nouvelle chambre a été tellement froid et plein de haine que j'ai senti mes os se glacer. Frédéric est venu poser une main sur mon épaule et a hoché la tête, m'affirmant que j'ai fait le bon choix. Mais je n'en suis pas sûre. Elle me déteste maintenant, et elle a été une victime de plus au Jeu de Chloé.

La liste des personnes blessées par ma faute ne cesse de s'agrandir, et ce sentiment de culpabilité me pèse comme un lourd boulet que je me traînerais à la cheville. J'ai l'impression de m'enfoncer de plus en plus au fur et à mesure que mes jambes se balancent et se posent au sol. De mes chaussons encore salis par les événements de vendredi, j'avance vers la salle principale où, apparemment, j'ai une visite. Il est à peine dix heures : ce n'est pas Liam. J'ai directement pensé à Chloé, alors. Une visite dans la salle principale et non dans ma chambre, à un endroit et une heure où tout le personnel et tous les patients sont réunis. Elle a choisi la carte de la foule pour venir me retourner le cerveau.

Mais je me suis préparée et je me dirige vers la grande salle d'un pas décidé juste après que l'infirmière de la dernière fois ne me prévienne de la visite.

Je ne la vois pas. Aucune tête blonde, ni aucun sourire mesquin n'apparaît dans mon champ de vision. Je tourne sur moi-même dans l'espoir de voir un visage familier avant que quelque chose ne m'arrive. 

Ce n'est que maintenant que je la remarque.

Elle est belle. Mieux que dans mes souvenirs et  dans mes imaginations les plus profondes. Quand ses yeux se posent sur moi, sa bouche remonte en un sourire sincère. J'arrive à apercevoir le fin maquillage qui met en valeur ses cils et ses pommettes roses. Elle joint ses mains devant sa poitrine  et se mord la lèvre. Les cheveux bruns de ma mère semblent si soyeux et si doux, formés de boucles magnifiques.

Je suis serrée dans ses bras avant même de ne me rendre compte que j'ai marché jusqu'à elle. Ses bras m'entourent avec force tandis que les miens restent collés le long de mon corps, comme si j'étais paralysée. Et je le suis un peu, trop sonnée et choquée pour faire ne serait-ce qu'un mouvement d'affection envers elle. Elle a l'air de si bien s'en sortir. Comment peut-elle avoir l'air si apaisée et sereine tout en vivant dans la misère ? Et comment arrive-t-elle à me sourire alors qu'elle est dans le rouge par ma faute ?

- Tu m'as tellement manquée, chuchote-t-elle dans mon oreille en remontant une main dans mes cheveux. 

J'inspire un grand coup, laissant le doux parfum sucré des cheveux de ma mère s'infiltrer dans mes narines. Sa voix est chaleureuse, sans aucun soupçon de colère due à sa dernière venue, celle où je l'ai fait fuir -- et pleurer. Les larmes me montent aux yeux, mais je les empêche de couler en montant mes bras et en m'agrippant  fortement à elle. Elle m'a manquée aussi, terriblement, mais je n'avais juste pas la force de penser à ça.

- Merci d'être venue, dis-je de ma voix faible qui trahit l'image que j'essaie de lui donner.

Elle desserre son étreinte et se recule légèrement pour me regarder. J'avale le nœud qui s'est formé dans ma gorge et qui retenait mes sanglots de faiblesse et force un sourire, qui se trouve en être un vrai et grand. Elle sourit encore elle aussi et je vois ses yeux briller. Il y a tellement de choses que j'aimerais lui dire, mais je ne sais pas par où commencer. Elle met fin à mon hésitation en me proposant de m'asseoir. Main dans la main, elle m'emmène jusqu'au vieux canapé en cuir noir inconfortable, un peu éloigné du groupe de personnes au centre de la salle.

Le JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant