Chapitre 2

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Harry est le seul ami que j'aie depuis mon arrivée ici. Comme je ne parle jamais à personne, ils ne voient pas l'intérêt de s'approcher de moi. Harry n'est pas comme eux. Il se fiche de parler ou non. En fait, je crois que le silence nous convient à tout les deux. Mais j'ai déjà entendu sa voix, grave et rauque. Je surprends ses conversations quelques fois. Tout le monde a l'air de l'apprécier. Je me sens toute petite à côté de lui.

C'est en le regardant que je me demande pourquoi je n'arrive pas à lui parler. Les médecins répètent sans cesse à ma mère que mon expérience traumatisante m'empêche de faire confiance aux autres, c'est pourquoi je ne voudrais parler qu'à moi-même. C'est en parti vrai, je pense. La confiance est un oiseau en cage, que j'ai laissé s'envoler trop de fois ; et désormais, cet oiseau ne revient plus.

- Je t'ai entendue hier, chuchote Harry.

Je reste silencieuse un moment, n'étant pas sûre qu'il m'aie réellement parlé. C'est la première fois qu'il me parle. Je me remets assez vite de ma surprise pour réfléchir à sa remarque. Je pense que tout le monde m'a entendue. Cela explique les regards des autres internés. Quand on a besoin de trois ou quatre médecins pour prendre des calmants, ils nous lancent des regards qui veulent dire « Tu ne guériras pas comme ça, chérie ! » Je les déteste. Je décide de ne pas répondre et bouge un pion de l'échiquier.

- C'était qui, ce mec ?

- Ça n'a aucune importance.

J'ai répondu d'un trait, ma voix rouillée étant à peine audible. J'ai passé tellement de temps à ne parler que dans ma tête que je doutais que ma voix sorte. Je lève mon regard vers lui. Il n'a pas l'air choqué que je lui réponde. Peut-être qu'il ne sait pas qu'il est le premier à qui je parle depuis bien longtemps.

Ses yeux verts ne quittent pas les miens, c'en est déstabilisant. Je remarque ses cheveux bouclés, trop longs maintenant, qui lui tombent juste au dessus des épaules.

- Il t'a fait du mal ? demande-t-il.

Il garde cette expression sérieuse qui me pousse à réfléchir à la question. Liam ne m'a pas vraiment fait du mal, mais indirectement je crois que ça se rejoint. Le fait est que je ne sais plus ce que je ressens. Mis à part ma crise de panique de la veille, je ne ressens rien. Ni avant, ni après sa venue. Alors je ne sais pas s'il me fait du mal, mais je sais que je ne veux pas le revoir.

- Je ne l'aime pas, conclue-t-il, voyant que je ne répondrais pas.

Il repose ses yeux sur le jeu d'échec et n'insiste pas sur le sujet.

__________


Ma mère est venue. Elle vient tout le temps me donner à manger le midi et elle m'apporte quelques friandises en plus, qu'on n'a pas le droit d'avoir ici. Elle parle. Je mange les cuillerées de bouillie qu'elle me donne, sans appétit. Je ne la regarde pas. Je me suis entraînée longtemps pour pouvoir garder cette posture et fixer un point ferme dans le vide de ma chambre. Seulement j'entends quelque chose qui me fait trembler.

- Elle est décédée hier...

J'essaie de garder la tête haute et de fixer ce point que je me suis créée mais ma tête se tourne lentement vers elle. Elle est un peu déstabilisée que je la regarde après quatre mois d'ignorance, je le vois dans son regard. Pourtant, elle voit que je veux en savoir plus, et elle continue de parler, seule.

- C'était un accident de voiture. Un délit de fuite. Ça s'est passé il y a deux jours. J'aurais aimé que tu puisses venir voir ta grand mère une dernière fois pendant son enterrement, mais c'est sûrement une mauvaise idée. Qu'est ce que tu en penses ?

Ma grand mère. Cette femme si forte, si adorable, si souriante vient de perdre la vie. J'allais la voir tous les jours quand j'étais gamine pour qu'on prépare des tartes et des cookies ensemble. C'est là qu'elle m'avait dit un jour « Tu sais ma chérie, quand je ne serais plus là, je te laisserais mon livre de recettes. Ce sera à ton tour de cuisiner pour ta famille. » ; évidement à cet âge là, je ne voyais pas pourquoi elle ne serait plus là un jour, je croyais que tout le monde était éternel, surtout elle. Elle était croyante et disait toujours que Dieu la protégeait pour qu'elle puisse me porter toujours plus haut.

Elle n'est venue me voir qu'une fois ici, il y a trois mois. J'aurais dû lui faire un câlin.

- Bon, je vais y aller mon ange. J'ai plein de courses à faire pour le dîner de ce soir. On se voit demain.

Elle m'embrasse le front et se relève, après avoir glisser une papillote sur la table. Je garde mon regard fixé sur l'emplacement où étaient ses yeux. Elle me regarde, je crois, du seuil de la porte. Puis je l'entends souffler, et partir. Je reste assise sur ma chaise longtemps, avant d'être trop fatiguée pour penser et je me lève.

Dans la salle principale, il y a une dame qui joue du piano. Je m'approche doucement d'elle. La mélodie qui s'échappe de l'instrument est magnifique. Je ne reconnais pas la chanson. C'est une musique douce, assez triste, mais pas lente. Je m'appuie contre le mur à côté du piano et ferme les yeux pour mieux écouter cette mélodie.

Lorsque de sombres notes éclatent soudainement, je sursaute et ouvre les yeux. La vieille dame qui jouaient tranquillement un air mélancolique me regarde désormais avec ses yeux énormes et rouge. Ses sourcils froncés lui donne un air maléfique et je comprends qu'elle a quelque chose contre moi. J'essaie de calmer mon cœur qui a sauté en même temps que mon corps mais son regard me pétrifie sur place. Je vois ses ongles rongés gratter les touches du piano, comme si elle voulait lui faire mal. Je me décale lentement contre le mur, gardant le contact visuel au cas où elle m'attaquerait.

Au moment où je commence à partir, elle me parle.

- Tu es maudite.

Aucune émotion n'est assez forte pour décrire ce mélange de peur et d'incompréhension que je ressens. Je ne comprends pas, et pourtant, ça me semble réel. Elle se lève brusquement, faisant tomber son tabouret, et cri :

- Ne me regarde pas, fille de Satan !

Je sens tous les regards se poser sur moi et je ne comprend toujours pas. Je n'ai rien fais à cette vieille dame, je ne l'ai jamais vue jusqu'à maintenant. De quoi m'accuse-t-elle ? Un médecin s'approche d'elle et réussit à la ramener dans sa chambre après plusieurs protestations sur le fait que je sois un ange maudit.

Mon cœur ne se calme pas pour autant. Tant de bruit, d'insultes et de regard me rend mal à l'aise. Je m'en vais, plus rapidement que je suis arrivée et m'enferme dans ma chambre. La porte ne se verrouille pas et doit rester ouverte, mais j'ai besoin de la fermer et je me fiche des règles. Je m'assoie sur la chaise devant mon bureau et mets mes mains sur mes genoux, enfonçant mes oncles dans ma peau par dessus mon pantalon léger pour me calmer. Je fais souvent ça : échanger ma douleur émotionnelle par la douleur physique. Par ce geste, je me concentre sur un mal direct et contrôle mes actes.

Je regarde la table en bois devant moi et examine chaque objet posé dessus. Un journal -- dans lequel ils espéraient que j'écrive mes mémoires, mais que je n'ai jamais touché --, un crayon à papier posé dessus, un vase de roses blanches que ma mère m'a apporté et la papillote que je n'ai pas encore touché. En regardant la table de plus prêt, je remarque quelque chose de nouveau. Quelque chose est gravé dans la table. J'arrête la pression de mes mains sur mes jambes et en porte une sur cette anomalie. Je me lève pour voir de haut ce que ça donne et passe mes doigts sur les lettres inscrites dans le bois. Je relis la phrase des dizaines de fois, peut-être même plus pour être sûre de ne pas rêver. Mais elle est bien là, inscrite dans le bois et désormais ineffaçable.

« Le silence tue. »

La peur remonte en moi quand je comprends pourquoi la dame m'a traitée de « fille maudite ».

Le JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant