Chapitre 16

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L I A M

A peine arrivé à l'hôpital psychiatrique de Bellevue, je me retrouve encerclé par homme et une femme, tous deux en blouse blanche. Le crâne rasé du docteur Cartwol luit de transpiration et sa barbe semble ne pas avoir été coupée depuis un moment. Je n'ai jamais vraiment pris le temps de le regarder, mais maintenant il me semble plus fatigué que jamais.

- Bonjour Liam, me salue-t-il gentiment, je te présente le docteur Gates, c'est la psychologue d'Emily.

- Oui, on s'est déjà rencontrés, je crois, dis-je en lui tendant la main, me rappelant la fois où je l'ai renvoyée chez elle parce qu'Emily était en train de dormir.

- Je m'en souviens, m'affirme-t-elle avant de me serrer la main en retour.

- Que me vaux cet accueil ? demandé-je en riant doucement.

- En fait, on aimerait te parler d'Emily, commence la femme. Je pense que son état s'aggrave.

- Quoi ? la coupé-je. Non, il ne s'aggrave pas, elle est motivée à sortir d'ici, elle a même recommencé à parler.

Mes mots s'enchaînent si rapidement que je ne suis pas sûr que ma langue puisse les sortir distinctement. Je commence à paniquer au fond de moi, priant silencieusement pour qu'il ne lui soit rien arrivé après mon départ. J'aurais dû rester avec elle et attendre qu'elle sorte de son état de choc. S'il lui arrivait quelque chose...

- Le problème remonte à plus longtemps, m'explique le docteur Cartwol, m'arrachant à mes pensées. Depuis le début de son internement, elle n'en fait qu'à sa tête. Elle parle où elle veut, quand elle le veut et à qui elle veut ; et cela ne signifie pas qu'elle guérit.

- Elle n'a jamais suivi son traitement, enchaîne la grande brune. J'ai trouvé toutes les pilules qu'elle aurait dû avaler depuis ces quatre mois dans la taie de son oreiller.

Mon visage se relâche par la surprise et ma bonne humeur de ce matin s'écrase sur le sol carrelé. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est en partie de ma faute ; que je n'ai pas été assez attentif à elle et à sa maladie, que j'ai souvent nié, mais qui est pourtant bien réel.

- Ne te méprends pas, je pense encore que tu es le seul qui puisse l'aider, m'assure Frédéric. Il faut juste que tu t'assures qu'elle avale son médicament. Vérifie qu'elle l'ait avalé avant de partir, d'accord ?

Je hoche la tête, incapable de sortir un seul son de ma bouche. Les médecins me gratifient d'un petit sourire chacun et s'écartent pour me laisser passer. J'avance d'un pas lent, plus tendu que je ne l'avais prévu en conduisant jusqu'ici. La boîte bleue dans ma main gauche glisse, mais je la plaque contre mon torse avec mon autre main encombrée par les roses.

La boîte s'est retournée en tombant. Je la redresse lentement, comme si quelque chose allait se casser si j'y mettais un peu plus d'énergie. J'espère que rien n'a bougé à l'intérieur, je m'en voudrais si le poulet de Lyla se mélange avec les carottes râpées.

J'arrive à la chambre d'Emily bien trop rapidement, je ne me sens pas prêt à l'affronter. Je dois prendre un moment pour me rappeler que je suis un homme, que je suis fort et que j'ai confiance en elle. Tout va bien se passer. Armé d'un courage enfantin, j'entre dans la pièce.

Elle est assise derrière Selly, sur le lit de cette dernière. Je vois ses petites mains bouger autour de la nuque et des épaules de la petite aveugle. J'imagine la douceur de son touché mélangé à la pression de sa peau contre la mienne quand c'était moi qu'elle massait. Je me souviens de l'apaisement que ça m'apportait et me mets à sourire comme un con. Mon appréhension retombe parce que je retrouve lentement la Emily que j'ai connue il y a si longtemps, au milieu de leur silence si relaxant.

Le JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant