Chapitre 5

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Frédéric Cartwol est revenu chercher la petite blonde aveugle après la séance. Il s'arrête à côté de moi alors que je m'apprête à quitter la salle pour me dire qu'il passera dans ma chambre plus tard. Je détourne le regard et repars. Du haut des escaliers, je vois Selly et le jeune médecin prendre l'ascenseur à ma gauche. Les portes se referment pendant que je l'entend dire à la petite qu'il va lui montrer les locaux. Je reste debout quelques minutes en repensant au dernier quart d'heure que j'ai passé. Cette petite m'a presque fait sourire avec son petit rire mignon et sa joie de vivre. C'est impressionnant à quel point elle peut être pleine de vie malgré son handicap. Je n'imagine même pas ce qu'il doit être de ne rien voir, de n'avoir jamais rien vu. Je ferme les yeux.

J'imagine ma vie plongée dans l'obscurité totale. Sans repaires visuels, je me sens tanguer comme sur un bateau. Je pose ma main sur la barrière à ma droite. Connaissant parfaitement l'endroit, je me dessine les escaliers dans ma tête. Mais après tout, un aveugle n'aurait pas ces repaires. Je décide alors de me reculer et de m'éloigner de la barrière. Je referme les yeux et tourne sur moi même, de plus en plus vite. Lorsque je m'arrête, mes repaires se sont évaporés et je me retrouve dans le noir complet, ne sachant pas ce qui se trouve devant moi. Alors, comme atteinte de l'handicap de la jeune Selly, je cherche autour de moi un obstacle en écartant les bras. Ne touchant que l'air, je me mets à marcher. J'avance lentement, pas à pas, vers l'inconnu. Soudain, une main ferme attrape mon bras.

J'ouvre les yeux et découvre la lumière vive du premier étage. Mon regard passe de la main à la tête de mon interlocuteur. Harry. Il me regarde bizarrement, puis se met à sourire.

- Tu veux te suicider, toi aussi ?

Ne comprenant pas, je regarde devant moi. Seulement quelques millimètres séparent mes pieds de la première marche des escaliers. Si j'avais continuer ma marche, mon corps serait tombé violemment sur chacune d'elles et j'aurais bien pu y perdre la vie.

Je reporte mon regard sur le bouclé et fronce les sourcils. Il a dit "toi aussi", j'aimerais savoir de qui il parle.

- La vieille dame qui t'as crié dessus après avoir joué au piano, - oui, je suis au courant - ils l'ont retrouvée ce matin, pendue avec son draps autour du cou.

J'ai un frisson en repensant à cette scène, et surtout au message retrouvé après celle-ci. Il faut que je vérifie qu'il y soit toujours. Elle ne peut tout de même pas agir à l'intérieur depuis l'extérieur, si ? Je me défait de son étreinte et descend rapidement les escaliers. Il me rejoint en bas et reprend son monologue pendant qu'on se dirige vers les chambres.

- Mon père est passé me voir hier. Ce n'est pas encore officiel, mais ils devraient m'autoriser à sortir. Pas pour un jour, ni une semaine ; mais pour toujours. Je n'ai pas fais une seule crise en trois mois, les médecins me trouvent aptes à gérer la vie sociale.

Je m'arrête et le fixe. Je suis contente pour lui, évidement, mais qui viendra vers moi s'il part ? Tous ici me trouvent encore plus folle qu'ils ne le sont eux-même. Je n'arrive pas à soutenir son regard et reprend ma marche pour ne pas baisser les yeux devant lui. Il comprend que notre discussion est terminée. J'entre en trombe dans ma chambre et vois un autre lit, posé à l'autre bout de la pièce, parallèle au mien. Je n'ai pas le temps de me demander qui s'est permis de s'installer dans ma chambre que j'entends la réponse venir de mon dos.

- Selly Oak devient ta colocataire à partir de maintenant. C'est de ça dont je voulais te parler.

Je reconnais la voix de Frédéric et me détend. La petite Selly va dormir -ou plutôt vivre- dans ma chambre. L'idée ne me dérange pas. Je m'avance vers le bureau et vérifie la gravure. Elle y est toujours. Évidement. Comment enlève-t-on une phrase gravée dans le bois ?

Le JeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant