Chapitre sans titre 12

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La pluie avait cessé de tomber depuis longtemps et les rues étaient de nouveau bondées de personnes qui se pressaient de rentrer avant la deuxième phase. Le froid était quant à lui bien présent. L'extérieur était grisard, exactement comme l'humeur de Kaélé.

Assise à la fenêtre, elle regardait les gens aller et venir, certains en courant, d'autre en marchant, comme s'ils étaient indifférents à la pluie ou à l'air froid de Douala par cette après-midi de pluie. Elle en revanche, ne pouvait être indifférente à ce qui se passait autour d'elle, ou plutôt dire chez elle. Aurelio était assis à la table de la salle à manger et pianotait sur son ordinateur comme si elle n'existait pas. Pourtant elle pouvait sentir qu'il l'observait.

C'était peut-être le fruit de son imagination après tout, se dit-elle en le regardant quand tout à coup lui aussi releva la tête dans sa direction. Leurs regards se croisèrent et le cœur de la jeune femme rata un battement.

-Vous avez besoin de quelque chose ? demanda l'homme

-Vous voulez vraiment que je vous réponde ? lui répondit la jeune femme après un instant de silence.

-Je crois que je sais ce que vous allez dire, poursuivit Aurelio en la rejoignant à son poste d'observation près de la banquette sous la fenêtre.

Il veilla cependant à garder une certaine distance entre eux. Il avait remarqué qu'elle n'appréciait pas que les gens s'approchent d'elle, comme si elle avait peur du contact. Il aurait bien aimé la questionner mais ce n'était pas le moment. Elle se braquerait aussitôt.

-Vous semblez triste, finit-il par dire calmement après quelques instant de silence, le regard fixé dehors. Qu'est-ce qui vous met dans cet état ?

-Vous, répondit-elle simplement.

En temps normal la connaissant, il s'en serait amusé, mais dans cette réponse, il n'y avait pas trace d'animosité, seulement une profonde lassitude. Elle avait presque murmuré sa réponse.

-Puis-je m'asseoir à côté de vous ? lui demanda-t-il

-De toute façon vous allez le faire, pourquoi me le demandez-vous ?

-Peut-être parce que je sais que vous détestez la proximité, dit-il en plongeant son regard dans le sien, comme pour sonder son âme. Et particulièrement celle des hommes.

Son regard azur était tellement limpide, tellement profond, que Kaélé eu l'impression de plonger en plein pacifique et de se perdre dans les profondeurs marines.

-Pourtant vous vous imposé quand même à moi.

-Il y'a des moments où ce dont on a le plus besoin c'est que des personnes s'incrustent dans notre vie et envahissent notre espace personnel, même si tout ce qu'on veut c'est être seul. Vous portez au fond de vous des démons qui vous hantent, et vous avez beau faire, il reste bien présent en vous. Vous les noyez dans le travail, et les masquez derrière votre attitude froide. Ils vous obligent presque à rester concentré parce qu'au moindre signe de faiblesse, ils refont surface.

En prononçant ces mots, Aurélio c'était plus adressé à lui-même qu'à elle, Kaélé l'avait compris. Seule une personne ayant subi des traumatismes, pouvait comprendre une autre personne dans la même situation. Se pouvait-il que...

-Vous en parlez comme si vous en saviez quelque chose. En disant cela, Kaélé c'était levé et se dirigeait vers la mini bibliothèque de son appartement pour se débarrasser de son locataire indésirable. Elle n'aimait pas le tour, que prenait leur conversation. Elle s'activa donc à la recherche d'un livre sur les étagères en bois vernis, avant d'en choisir un et de s'asseoir sur le fauteuil qui se trouvait dans la pièce.

-La Bible de Jérusalem ! Aurelio l'avait suivi et il venait de lire le titre du livre posé sur la table basse. Vous êtes chrétienne à ce que je vois.

-Non je ne le suis pas, c'est à Estelle.

-Vous n'êtes pas chrétienne ? Pourquoi donc ?

- Je ne vois pas pourquoi les catholiques font toute une histoire pour un charpentier itinérant mort il y'a 2000 ans. Ce livre, dit-elle en indiquant la bible du menton, est une immense œuvre littéraire pleine de fables et de texte copiés partout ailleurs et falsifiés, avec des personnages qui n'ont jamais existé.

-Le fait pour vous de ne pas croire en Christ ne vous donne pas le droit de raconter de telle inepties. Respectez les croyances des autres.

-Quel croyance, la religion n'est qu'une arnaque inculquée aux gens dès leur enfance. Et le catholicisme est la pire de toute.

-En ce qui me concerne, je sais en qui j'ai mis ma confiance, dit Aurelio Et pour ce qu'il en est de vous, sachez que la foi ne vient pas de la sagesse humaine. Maintenant j'espère que vous ne faites pas ce genre de réflexion en publique, et si non vous devriez faire attention à vos paroles, car il y'a des personnes qui ont l'esprit fragile. Et pour ces personnes, faire ce genre de réflexion peut avoir des conséquences redoutables. Tout le monde a besoin de croire en quelque chose, qu'il s'agisse de la science, de la religion catholique, protestante, musulmane ; bouddhiste, Eckankar ou que sais-je encore.

-Libre à vous de vivre avec vos illusions. Je ne crois qu'en une seule personne et c'est moi. C'est bien pratique ça, je suis le sauveur de l'humanité, je vais vous libérer mais en attendant débrouillez-vous avec les guerres, les tsunamis et le terrorisme, c'est bien cela ? Parler de la bible comme d'une référence c'est étaler son manque de culture.

Aurelio écoutait la jeune femme parler et voyait à travers chacune de ses paroles l'expression d'une douleur cachée.

-Alors je suis un acculturé, lui répondit- il simplement. Mais dites-moi Kaélé, reprit-il en se rapprochant d'elle, qu'a-t-il bien pu vous arriver pour que vous détestiez Dieu à ce point ?

-Pour un être sensé nous donner ce dont on a besoin, il m'a dit non un bon nombre de fois !

-Peut-être vous a –t-il donné la réponse que vous auriez voulu entendre si vous saviez ce qu'il savait.

Kaélé avait les larmesau bord des yeux. Les réponses d'Aurélio faisaient remonter en elle dessouvenirs qu'elle aurait préféré garder terrés au fond de sa mémoire. Il dût   percevoir son desarroie car il posa sa main sur la joue de la jeune femme et la caressatendrement avant de céder au désir qu'il avait de l'embrasser, ce qu'il fit...etpour la première fois de sa vie, elle ne l'en empêcha pas.

Grand Coeur MaladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant