Au beau milieu de nulle part [bxb]

19.

Tristan passe la journée dans une atmosphère étrange. Il ne sait pas exactement où les choses en sont depuis la veille, mais il a échangé quelques messages avec Martin et il se sont promis de discuter à son retour vendredi. Tristan a hâte de le revoir pour améliorer la situation. L'absence de son ami lui pèse car, pour la première fois depuis presque trois semaines, ils ne passent pas la soirée ensemble.

Il se tourne et se retourne dans son lit, peinant à trouver le sommeil, et alors qu'il est plus d'une heure du matin son téléphone se met à vibrer. Il fronce les sourcils. C'est Martin qui essaye de le joindre. Tristan décroche, un peu étonné car il lui a déjà envoyé un message pour lui souhaiter bonne nuit il y a quelques heures.

- Je te réveille ? » demande la voix de Martin à l'autre bout du combiné.

- Non pas du tout » le rassure aussitôt Tristan. « Je n'arrivais pas à dormir. Toi non plus ? »

- Si, je me suis endormi il y a un peu plus d'une heure mais mon nouveau cousin m'a réveillé. Il pleure hyper fort depuis tout à l'heure. Là je suis sorti dans le jardin, j'en peux plus. »

- Alors, il va bien ? » demande Tristan car, après tout, ils sont partis pour le rencontrer. « Comment il est ? »

- Bruyant. Il a passé toute sa journée à pleurer et à dormir. J'ai essayé de le prendre dans mes bras, ce soir, mais il m'a vomi dessus. »

Tristan se met à rire.

- C'est pas trop ton truc les bébés ? »

- Non, pas vraiment » répond Martin avec amusement.

- C'est drôle, parce que je t'imaginais bien du genre papa poule, super prévenant et attentionné. » Tristan le pense vraiment. Martin est tellement calme, toujours attentif et sans cesse entouré d'une aura réconfortante, alors il le voit très bien à la tête d'une famille. Mais pourtant le blond répond :

- Pas du tout. » Il lâche un petit rire, et reprend un peu plus sérieusement : « Je ne suis pas sûr de vouloir avoir des enfants plus tard. »

Tristan n'hésite pas une seconde et répond avec assurance :

- Moi non plus. »

Il n'est pas habitué à être en présence de jeunes enfants. Il ne se souvient pas de l'époque où ses sœurs étaient encore petites et il n'a pas beaucoup de cousins : son père est fils unique et même si le frère de sa mère a des enfants, ils sont tous plus âgés que lui et il ne les voit pas souvent.

Et Tristan ne se voit pas papa. L'idée d'être responsable d'une autre personne, de devoir prendre soin et de s'occuper d'un enfant, ne l'enthousiasme absolument pas. Un peu égoïstement, il veut pouvoir continuer à faire ce qu'il veut sans se soucier de rien.

Il est content de voir que Martin semble sur la même longueur d'onde que lui. Et alors que cette idée traverse son esprit, il se rend compte de la gravité de la situation. Avoir cette discussion avec Martin lui paraît presque surréel, et c'est comme si, soudain, les choses devenaient sérieuses. Mais de toute façon, lorsque la question se posera réellement, est-ce qu'ils seront toujours ensemble ? Tristan l'espère. Il n'a aucune idée d'où il sera dans cinq, dix, cinquante ans, mais il espère que ce sera aux côtés de Martin.

La discussion devenant un peu trop sérieuse, Martin décide de changer de sujet pour alléger l'atmosphère. Il demande :

- Comment va Circé ? Vous vous occupez bien d'elle ? »

- Oui, oui, t'inquiète pas. Anastasia et Gabrielle ont passé toute la journée à jouer avec elle. » Tristan, de son côté, a passé toute la journée à essayer de l'éviter. « Mais là elle dort dans ma chambre. »

- Je ne te crois pas » réplique aussitôt Martin avec fermeté.

- Mais si c'est vrai, je peux même t'envoyer une photo si tu veux » répond Tristan en jetant un coup d'œil à la chienne étendue sur son tapis. Circé s'est faufilée à l'intérieur de sa chambre alors qu'il avait le dos tourné et il n'a pas eu le courage d'essayer de la faire redescendre ensuite ; elle a fini par s'endormir au pied de son lit.

Martin laisse échapper un petit rire et Tristan peut le deviner secouer la tête.

- On aura tout vu, vraiment. »

- Je t'avais dit que je n'avais pas peur d'elle » insiste Tristan avec un sourire.

Ils continuent à discuter tranquillement pendant un long moment, sans se prendre la tête. Ils ne reparlent pas des événements de la veille et les choses semblent redevenues faciles, comme quelques jours auparavant alors qu'ils n'étaient encore qu'amis. Et alors que Tristan se fait cette réflexion, une idée affreuse germe dans son esprit. Peut-être que ce n'est que ça, finalement, de l'amitié. Peut-être que Martin ne le voit que comme un ami, et que c'est pour cette raison qu'il ne veut pas pousser les choses trop loin. Peut-être que Martin a accepté de se mettre avec lui juste pour lui faire plaisir, pour ne pas lui faire de la peine.

Mais Tristan refoule toutes ces pensées dans un coin de son esprit. Il sera de toute façon très vite fixé, et il n'a qu'une hâte, que Martin revienne enfin.

En attendant, il s'endort avec sa douce respiration au bout du fil.