Au beau milieu de nulle part [bxb]

16.

- Il est déjà quinze heures ! » sont les mots que Tristan entend quand il descend les escaliers. Il les ignore, et va ouvrir le réfrigérateur dans la cuisine pour en sortir de quoi calmer son ventre qui crie famine.

Son père, assis à la table au milieu de la pièce, lève ses yeux du journal pour le regarder.

- Tu ne vas rien me dire ? »

Tristan souffle. Il n'a pas envie de parler maintenant, et il comptait remonter dans sa chambre directement après avoir mangé. Mais, pour la forme, il soupire sans grand enthousiasme :

- Salut papa, ça va ? Vous avez fait bonne route hier soir ? »

- Oui, merci, mais ce n'était pas ce que je demandais. Tu vas m'expliquer pourquoi tu fais cette tête ? »

Son ton n'est pas méchant, juste peut-être un peu inquiet. Mais Tristan secoue la tête. Son père sait qu'il est inutile d'insister dans ces cas-là, et change de sujet en demandant :

- C'était sympa hier ? Martin se porte bien ? »

- Ouais » fait Tristan, ne sachant pas à quelle question il répond exactement. L'anniversaire de la veille s'est plutôt bien passé, il s'est amusé et a rencontré des personnes très sympathiques. Et Martin se porte bien. Il ne doit pas être en train de se lamenter comme lui, passant toute la journée allongé dans son lit à se répéter qu'il est un idiot.

- Tant mieux. Tes grands-parents voulaient inviter les Hamon à dîner ce soir, il est déjà un peu tard mais tu pourrais quand même aller leur demander ? »

Tristan se fige. La veille encore, il aurait été ravi de cette proposition mais à présent la perspective de passer une autre soirée en compagnie de Martin s'apparente à un cauchemar. Il n'avait pas l'intention de le revoir un jour et comptait l'ignorer jusqu'à la fin du mois de juillet, se noyant dans son désespoir et sa honte. Et ça ne fait pas quelques heures, qu'on lui annonce qu'il va devoir lui faire face à nouveau. Car Tristan sait qu'il ne peut pas refuser. Hors de question qu'il explique à sa famille pourquoi il ne veut pas le voir, ce serait beaucoup trop humiliant. En voyant qu'il ne répond pas, son père insiste :

- Tristan ? »

- Pourquoi c'est à moi d'y aller ? »

- Tu n'as rien fait de toute la journée, tu peux faire cinq minutes de vélo, non ? » réplique sa mère qui est entrée dans la pièce.

Le visage de Tristan se ferme, il fronce les sourcils mais ne répond rien. Le ton de sa mère est sans appel, elle prend son sandwich des mains, lui affirme qu'il pourra manger quand il reviendra, et le pousse vers la sortie de la cuisine.

- Appelle les directement, au pire » lui propose Anastasia alors qu'il est en train d'enfiler ses chaussures devant la porte d'entrée.

- Je n'ai pas leur numéro de téléphone » répond Tristan, résigné.

- Bah t'as celui de Martin. Appelle-le. »

Sûrement pas. Avec un peu de chance, s'il se rend directement à sa maison il ne croisera que ses parents et pourra éviter une confrontation avec lui. Mais bien sûr, dès qu'il arrive devant le portail, il le voit en train d'étendre le linge dans le jardin avec sa mère. Tristan s'approche très rapidement, pressé d'en finir. En quelques secondes, la proposition est acceptée et ils conviennent d'être présents pour dix-neuf heures.

Tristan n'a pas regardé une seule fois Martin. Il ne lui a pas parlé, et il ne l'a pas entendu non plus. Et pourtant, il se sent affreusement mal. Mais ce n'est que le début, car ce soir il lui faudra le supporter pendant tout un dîner. En temps normal, Tristan aime beaucoup quand leurs deux familles se retrouvent ; tout le monde s'entend bien et l'ambiance est toujours bonne. Mais aujourd'hui ce sera différent, forcément. Il n'a pas envie d'y penser et fait tout pour se distraire pendant le reste de l'après-midi. Mais son ventre reste noué d'appréhension, car il sait qu'il sera incapable de faire semblant que tout va bien, que Martin est toujours son ami, et que son comportement ne l'a pas dévasté.