Au beau milieu de nulle part [bxb]

27.

Il est presque six heures du matin.

La maison est silencieuse. Dans quelques heures, les parents de Martin se réveilleront, sa mère préparera le petit déjeuner, son père s'habillera pour partir au travail et son frère allumera trop fort sa musique. Mais pour l'instant Martin a l'impression d'être coupé de la réalité, seul avec Tristan dans l'intimité de sa chambre.

C'est la dernière fois qu'il le voit avant qu'il ne s'en aille, il le sait. Tristan part dans quelques heures mais pourtant il est ici, avec lui, et il ne semble pas pressé de rejoindre sa famille. Tristan l'a appelé en plein milieu de la nuit pour lui demander s'il pouvait venir chez lui, une dernière fois, et forcément Martin a accepté. Il ne peut rien lui refuser.

Mais Martin ne peut pas se plaindre non plus. Il lève ses yeux vers Tristan et l'observe attentivement, se gorgeant de sa présence. Tristan est assis à califourchon sur lui, les joues rouges et les yeux brillants, et sa peau d'une pâleur diaphane brille presque sous les premiers rayons du soleil.

- T'es tellement beau » lâche Martin sans pouvoir s'en empêcher.

Tristan paraît surpris. Il lève les yeux vers lui et le dévisage une seconde, décontenancé, comme s'il ne s'attendait pas à un tel compliment de sa part. Il semble ne pas savoir quoi répondre, mais il se reprend très vite et esquisse un sourire malicieux avant de lâcher :

- Je sais. »

Martin lève aussitôt les yeux au ciel et Tristan se penche pour l'embrasser, riant contre ses lèvres. Mais Martin n'a pas envie de rire et il se sent soudainement très triste.

- Je n'ai pas envie que tu partes » souffle-t-il.

C'est la première fois qu'il le dit à voix haute alors que ces mots tournent en boucle dans son esprit depuis des jours. La veille, ils se sont dit au revoir comme s'ils ne se reverraient pas et même à ce moment Martin n'avait pas osé le dire. Parce que ça aurait semblé trop réel, trop définitif. Tristan lui a bien dit qu'il aurait préféré passer le restant de l'été avec lui, mais Martin sait que ce ne sont que des paroles en l'air. Dans quelques jours Tristan sera en Norvège, en train de visiter des villages pittoresques, de faire du kayak sur des fjords paradisiaques, ou de se prélasser au bord de la piscine d'un hôtel luxueux posé au milieu des montagnes. Martin, lui, reste ici.

- Tu m'enverras des photos ? » demande-t-il à voix basse.

- Je peux aussi t'envoyer une carte postale si tu veux. »

- Je veux un magnet pour coller sur mon frigo, aussi. »

Tristan hoche la tête et serre solennellement sa main pour sceller leur accord. Mais Martin tire sur son bras pour l'attirer à lui et s'empare ardemment de ses lèvres, bien décidé à profiter du temps qu'il leur reste.

Comme chaque année Martin sent son ventre se serrer au moment de se séparer de Tristan. Comme chaque année son humeur reste au plus bas durant le reste de la journée. Comme chaque année il va s'installer à sa fenêtre, guettant le départ de la famille de Tristan pour ne pas rater leur voiture quand elle passera devant sa maison.

Mais cette fois, le poids sur son cœur est moins lourd. Car il sait que dans peu de temps, ils se retrouveront.

À Toulouse.