Chapitre 26

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Amaury défiait Tryarn comme s'il tentait de déterminer si ce colosse de chairs et de fourrures serait un allié ou bien un rival. Le regard du seigneur de Yersach suintait l'antipathie que lui inspirait d'ordinaire les têtes couronnées.

Amaury, le propre frère de Soann, représentait tout ce que Tryarn pouvait mépriser en ce monde.

Si Lyssandre s'était glissé parmi les hommes qui s'amassaient dans son ombre, et celle-ci était aussi gigantesque que la stature du dirigeant, il aurait constater combien Tryarn n'entendait pas ouvrir volontiers sa porte au roi. Combien aussi le seul fait qu'il lui ait autorisé à séjourner à Yersach tenait du miracle et d'un geste bien plus symbolique que le prince le pensait.

Mon oncle vous témoigne bien plus de considération que ce que j'envisageais. Cela dépasse largement toutes mes espérances, avait lâché Artell, sans que Lyssandre en comprenne la pleine mesure.

Le silence rendait l'air quasi irrespirable. L'arrivée d'Amaury avait été annoncé alors que Tryarn prenait une collation et plutôt que de monter sur son trône, symbole puissant sur lequel le seigneur n'aurait pas dû posséder ses droits, il avait fait introduire le roi là où il se trouvait.

Si Artell n'avait pas été habitué à l'animosité des combats s'il n'avait pas saisi toute la subtilité du duel qui se jouait entre le vin et le fromage, il aurait craint que Tryarn ne dégaine son arme pour avoir un geste malheureux. Sa garde d'Oiseaux, tendue et moins confiante qu'elle n'aurait dû l'être, ne l'aurait pas toléré. En détaillant la scène, irréaliste, celle d'un seigneur qui ne se lève même pas devant son roi, qui n'a même pas interrompu son repas, la disposition d'Artell changea. Il n'était pas bien sûr de savoir qui des deux hommes se trouvaient dans une mauvaise posture. Amaury, en quittant son paisible palais et en intégrant Yersach, réputée pour emmurer vivants les imprudents, ou Tryarn en rivalisant d'impolitesse et outrepassant toutes les règles d'un seul tenant.

Finalement, ce fut Tryarn qui rompit le silence d'autorité. Il ne donna d'ailleurs pas l'impression de le céder par faiblesse. Sa voix caverneuse résonna entre les pierres nues sans qu'il ne cesse de mastiquer son pain.

— Vous m'excuserez, petit roi, de ne pas vous proposer une rasade de cette liqueur. Je doute que votre estomac soit capable de le supporter.

Il déboucha la bouteille de liqueur, dont la liqueur ambrée semblait presque noire, se servit un verre généreux, avant de le lever l'attention d'Amaury. Artell serrait les dents. Il y avait une limite à la provocation et Tryarn venait d'initier le ton donné à la conversation de la plus dangereuse des manières.

— Ne vous embarrassez pas, seigneur, je ne fais que profiter de l'exceptionnel sens de l'hospitalité de vous autres.

Le sourire qu'Amaury adressa était affable. Il n'y avait aucune amertume, mais simplement.

— Vous avez déjà dépassé mes espérances, petit roi. Vous êtes parvenu vivant jusqu'à Yersach. Cet exploit a demandé bien plus de temps à votre frère.

— Mes missives étant restées sans réponse, je suis venu

— Dois-je craindre des milliers d'hommes à mes portes ?

— Pensez-vous que votre forteresse justifie un tel investissement ?

— Je m'interroge sur la probabilité selon laquelle vous ravirez Yersach.

— Et quelle est-elle ?

Le sourire de Tryarn s'élargit derrière son verre. Amaury ne pressentait pas le danger, ou peut-être se fichait-il de le provoquer.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant