Chapitre 24

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Priam s'était échappé de l'étuve étouffante des festivités dès qu'il y avait été autorisé. Dès lors qu'il avait été bien certain que son départ ne froisserait personne.

Son quotidien se résumait à cela, ces dernières semaines. Il rasait les murs pour ne pas avoir à endurer l'excessive politesse des nobles. Elle lui était insupportable, d'autant plus qu'il la savait hypocrite. Il veillait à son image. S'il y avait bien un conseil que lui avait donné son père, c'était bien l'importance de celle-ci. Il n'y adhérait pas, mais force était de constater que les lois de ce monde étaient régies par les apparences.

Les seuls instants où Priam était en paix, où on ne lui demandait pas de jouer un rôle, ou du moins de faire bonne figure, c'était lorsqu'il rejoignait ceux qu'il considérait comme des frères d'arme. Ses entraînements, menés d'une main de maître par l'élite des soldats d'Amaury, l'épuisaient, le forçaient à taire ses pensées au profit des réflexes, de l'instinct, et lui apportaient une surprenante sérénité. L'impression d'avoir trouvé sa place, de se savoir utile. Il n'était pas invisible, pas moqué, pas non plus flatté sans raison apparente. Il y était traité comme n'importe quel autre homme et l'adolescent ne demandait rien de plus.

Priam avait le cœur particulièrement lourd lorsqu'il quitta la salle de bal et le banquet qui y avait été installé. Il n'était d'ailleurs pas bien sûr de comprendre pourquoi. Comme souvent lorsque ses propres ressentis lui échappaient, et cela lui arrivait bien trop souvent à son goût, le garçon s'égarait dans les couloirs du palais. Il était aisé de s'y perdre, tant les couloirs s'agençaient dans un entrelac de lignes, d'escaliers, d'antichambres et de vastes pièces, à portée publique ou privée. Priam déambulait dans l'espace officiel du palais, avec ses lieux réservés à l'exercice du pouvoir lorsqu'il s'en éloigna un peu. Il approchait des quartiers réservés aux servantes. Accolés à ceux des nobles afin de pouvoir surgir à tout instant du jour ou de la nuit, ceux-ci ne témoignaient d'aucune identité propre, mais d'un certain confort.

Plongé dans ses pensées, l'adolescent faillit trébucher sur un obstacle. Reposant contre le mur et dans la pénombre, Priam n'avait pas remarqué sa présence. Les vitres projetaient la lueur fixe comme un œil de nacre de la lune et celle-ci découvrit le visage de ce qui était en fait une jeune fille.

Sa propre sœur, Dhelia.

Comme si sa présence tenait du hasard.

Priam manqua de la réprimander pour lui avoir causé cette petite frayeur, mais préféra lancer, non sans une touche de cynisme qu'elle seule savait lui inspirer :

— Eh bien, vous ne surveillez par les invités ? Qui sait, parmi eux se trouve peut-être un assassin, un voleur, un traître...

Dhelia se faisait un devoir d'incarner le rôle de protectrice envers son père. Plus dévouée que sa garde rapprochée, que les hommes chargés de sa protection, elle prenait cette fonction officieuse très au sérieux. Il était inutile d'essayer de la faire changer d'avis, de la dissuader de suivre son père comme son ombre. Son frère ignorait si Amaury l'avait habitué à le couvrir depuis sa plus tendre enfance ou s'il avait depuis longtemps compris qu'elle ne manquerait pas à ce devoir.

Dhelia était une ombre dangereuse et Priam n'avait encore qu'une vague idée de la menace qu'elle pouvait représenter.

Recroquevillée sur elle-même, les bras enroulés autour de ses genoux comme si elle tentait de se réchauffer, Dhelia ressemblait à un petit animal transi par le froid.

Par le froid ou par la peine.

Une voix étouffée par la manche de sa tunique émergea du visage enfoncé dans le creux de son coude :

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant