Chapitre 10

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Amaury avait soigné sa présentation en l'honneur de l'arrivée triomphale de ses alliés.

Près de deux semaines s'étaient écoulées depuis que Lyssandre avait abdiqué. Abdiqué, c'était le mot convenable qui était employé au détour des conversations de la Cour. Le centre de ce monde avait préféré employer un euphémisme grinçant et le reste de Loajess avait pris le pli bien sagement.

Amaury avait laissé à cette Cour quelques jours pour s'acclimater et son initiative n'avait rien d'irréfléchi. Ce n'était pas non plus une couardise déguisée. Le roi savait qu'il se devait d'obtenir l'adhésion, sinon la crainte, de ces puissants, ou il reproduirait lamentablement les mêmes erreurs que son neveu.

Et il n'en était pas question.

Il avait donc chargé ses alliés les plus fidèles, les plus influents, de contrôler les ardeurs de ceux qu'il avait ralliés à sa cause. Tous voulaient leur dose de sang ou la récompense qui leur avait été promise. Amaury s'était montré évasif quant à ce qu'il leur serait rendu, leur part du gâteau, mais cela ne faisait pas de lui un ingrat. Cependant, lorsqu'il était question de changer la face du monde, de bouleverser les coutumes et de modifier l'ordre des choses, les retombées pouvaient s'avérer plus tardives que ce qui avait été envisagé.

Tout l'inverse des conséquences qui, au moindre faux pas, pouvaient condamner un règne.

Amaury avait donc pris soin de remettre de l'ordre dans les affaires les plus urgentes. Au lendemain d'un coup d'État, ce n'était pas les urgences qui manquaient, mais plutôt le temps à leur consacrer. Du reste, Amaury était doté d'un tempérament indépendant qui l'empêchait de déléguer à autrui. Il avait fini par l'admettre à contrecœur, mais gardait toujours un œil ouvert sur les décisions qui étaient prises. Les choses ne seraient jamais aussi bien réalisées que s'il s'en était chargé. Le roi était trop intelligent pour ne pas céder un peu de terrain et s'il devait donner l'illusion à ses subalternes qu'ils lui étaient utiles, indispensables, irremplaçables, alors il n'hésiterait pas à s'y employer.

Lorsque les grilles du palais s'écartèrent en grincer, Amaury se guinda dans son uniforme. Lyssandre lui avait préféré les belles toilettes et, à l'instar de ceux qui l'avaient précédé, il avait tenu à marquer la différence. Lui n'était pas une poupée qu'on craindrait de briser, mais un chef de guerre et, par-dessus tout, un stratège hors pair. Cela, Loajess ne tarderait pas à le comprendre, même si elle devait en payer le prix une fois de plus.

Une file de fiacres défila dans la cour et Amaury soupçonnait ses associés de soigner, eux aussi, leur entrée. Après tout, l'extrême majorité de ces gens était dotée d'une fortune colossale, mais pas suffisante pour justifier leur présence à la Cour. Ils étaient insignifiants aux côtés des grands noms de Loajess, pas assez spectaculaires pour être jugés dignes d'intérêt. De quoi froisser quelques orgueils et alimenter la rancœur.

Ce jour-là, une véritable revanche se jouait.

Les courtisans s'étaient approchés à reculons. Ils désapprouvaient, cela tenait de l'évidence, Amaury n'avait pas à lorgner leurs visages allongés par le dédain pour le comprendre, mais la curiosité l'emportait. Ils voulaient connaître leurs rivaux, leurs concurrents de choix afin de juger s'ils représentaient un danger véritable ou non. Une place à la Cour était toujours chère payée, mais même après avoir obtenu ses entrées, on pouvait en être chassés plus vite que prévu. La disgrâce se distribuait à tour de bras et ne se justifiait pas toujours. Il suffisait d'une rumeur un peu coriace pour que le rêve éveillé cesse. Pour que les plaisirs dont on s'enivrait ne soient arrachés. Amaury comptait bien sur le désespoir des courtisans, sur l'effroi qu'une concurrence trop rude produirait. Il tenait entre ses mains leur avenir, leur destin, et bientôt, ils ramperaient à ses pieds pour arracher un peu de son attention entre les dents.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant