Chapitre 1

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La salle du trône avait été vidée de ses occupants et il ne restait plus que lui.

L'imposteur, le félon, le sauveur.

Le prince oublié.

Amaury cumulerait bientôt, lorsque la nouvelle de son avènement se répandrait à Loajess, tous ces titres et sans doute bien d'autres encore.

Pour l'heure, seul le palais savait déjà, peut-être Halev aussi, mais personne d'autres, et Amaury pouvait goûter à sa gloire comme s'il était seul au monde.

Il n'y avait pas d'ivresse plus folle, pas de triomphe plus grand que ceux qu'il se réservait, ceux qui couronnaient désormais sa tête.

Un sourire hérissa ses lèvres, déborda de sa bouche. Il y avait seize ans qu'il attendait cet instant, seize ans qu'il patientait dans l'ombre pour jouir de ce seul fait.

Le regard d'Amaury se fixa sur le trône, perché quelques mètres plus loin. La couronne reposait sur le siège au velours rouge. Elle l'attendait.

Le prince, le roi, fut gagné par un accès de gravité, par un soupçon de solennité. Il admira les reflets de la couronne dans les premières lueurs du jour. Ses joyaux capturaient l'essence subtile, discrète, pure du matin. Cela ressemblait à une naissance, à une renaissance, et cela en avait la saveur.

Amaury s'humecta lentement les lèvres.

Il approcha et son pas compté s'apparentait à celui d'un conquérant. Il n'y avait pas de prêtre, ce matin, pour le sacré roi, et le prince s'en chargerait seul. Il n'avait besoin de personne d'autre.

Arrivé aux pieds du trône, il hésita. Il n'hésita pas à tendre la main pour s'emparer de ce qu'il lui revenait de droit. En revanche, il hésita quant à la conduite à suivre. Devait-il s'agenouiller devant le trésor de ses ancêtres, devant leur héritage, ou renier entièrement ses prédécesseurs au profit de sa gloire. Il avait fantasmé ce moment des centaines de fois, mais arrivé à son seuil, un doute s'immisça. Aurait-il l'audace de s'emparer de la couronne sans les usages poussiéreux qu'elle supposait, en s'émancipant du poids des siècles écoulés sous le règne des siens ? Aurait-il le courage, l'imprudence, de blasphémer sur le lieu même du pouvoir et sans en craindre les conséquences ?

La réponse vint d'elle-même, naturelle et outrageante.

— Lyena, prononça-t-il, au pied du trône.

C'était à elle qu'il rendrait hommage, et non à ces figures ancestrales, guerrières, et égoïstes dont le nom avait été inscrit sur la tapisserie qui s'élevait derrière le trône.

Amaury prit une profonde inspiration, puis accomplit ce qui devait être, selon ses propres termes, sa destinée. Il referma ses doigts sur la couronne, la soupesa dans ses mains, admira le reflet qu'elle arborait, dans l'aurore tendre, puis la porta jusqu'à lui.

Jusqu'à coiffer sa tête.

Son cœur s'emballa dans sa poitrine et, les paupières closes, il goûta à la saveur tant convoitée du pouvoir.

Rouvrir les yeux, c'était comme les poser sur un monde nouveau, un monde changé, et Amaury s'exécuta. Il s'était fait roi de ses mains et la toute-puissance qu'il ressentait égalait son ivresse.

Il se laissa choir sur le trône, sans précipiter le moindre de ses gestes. La salle était vide, mais les traces de sang souillaient toujours le sol comme pour rappeler à Amaury de quelle manière il avait accédé au pouvoir.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant