Chapitre 13

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Nausicaa posait un regard dubitatif, sinon railleur, sur les couples qui mettaient un point d'honneur à briller sur la piste de danse.

Briller sonnait comme un euphémisme, eût égard à l'attention portée aux toilettes somptueuses, aux décolletés plongeants et aux gestes qui se moquaient bien d'outrepasser la bienséance. Amaury avait offert une fête digne des mythes, des fantasmes, et ceux qui ne connaissaient pas la Cour ne possédait nulle limite. Ils ignoraient la façon dont il fallait se comporter et le palais avait tant dépeint, à travers des histoires folles, de comportements affriolants, parfois obscènes, de libertinage éhonté et de de pure débauche, que ces nobles arrachés à leurs lointaines provinces s'attachaient à ce qui en était dit.

Une vérité satinée de mensonges, où le grandiose tutoyait tantôt le solennel, tantôt le scandale, la luxure et tous les excès.

Nausicaa connaissait la légende. Les domestiques de ces demeures éloignées des grandes villes de Loajess murmuraient des secrets au sujet de fêtes indécentes. De quoi entretenir les fantasmes de tous, hommes et femmes, jusqu'aux jeunes vierges dont la vertu aurait pu être entachée par l'évocation de pareille immoralité.

Nausicaa n'avait jamais connu ces images de corps enlacés, de corps mêlés, dont certaines peintures pornographiques étaient vendues, puis jalousement gardées, ni même cette ivresse qui abolissait le contrôle de l'âme au profit d'un jeu sordide, placé sous le signe du plaisir. Ces orgies dégoulinantes de concupiscence et de salacité n'existaient nulle part, sinon dans l'imagination un peu trop prolifique des curieux.

Ou du moins, ces comportements pouvaient échapper à des nobles, des hommes, mais uniquement à l'abri des regards. Cela allait de soi.

Cependant, ces représentations erronées tendaient à se confondre avec le réel. Les nobles invités par Amaury à séjourner, à titre temporaire ou non, au palais ne connaissaient aucune limite. Le roi ne les rappelait pas à l'ordre, alors ils se vautraient dans les mets fins, dansaient jusqu'à défaire leurs coiffures impeccables, riaient fort, parlaient haut, s'époumonaient jusqu'à reconstituer une scène grotesque.

La scène que les petits gens prêtaient aux hautes sphères de Loajess. Et ces opportunistes, ces petits êtres vaniteux, s'adonnaient à la représentation qu'on associait à eux sans savoir qu'elle n'avait rien d'élogieuse.

Nausicaa plissa le nez de dégoût. Elle n'avait qu'à tourner la tête pour s'infliger la vue d'un spectacle affligeant. À l'ombre d'une colonne richement décorée de bas-reliefs, un couple avait dépassé le stade de la conversation et du badinage et s'adonnait à l'étape qui suivait, pensant sans doute être à l'abri des regards. Non loin, un homme lorgnait sans pudeur la poitrine d'une femme qui, étourdie, chavirait de plus en plus, un verre de vin à la main. Les danses qui s'orchestraient tout autour renvoyaient le même spectacle, entre corps pressés les uns contre les autres, heureux de trouver un prétexte à cela. Nausicaa reconnaissait certain visage. La maîtresse d'untel batifolait joyeusement avec un futur amant, non sans accorder des œillades suggestives à un autre. Les hommes n'étaient pas en reste et rien, pas même le serment du mariage, ne sauraient combler leurs appétits.

Sans être prude, la baronne jugea cette manière de se donner en public tout à fait scandaleuse.

— Mademoiselle de Meauvoir, vous semblez vous ennuyer.

L'intéressée sentit un frisson d'horreur crépiter le long de sa colonne vertébrale. Son souffle se bloqua une première fois dans l'étreinte intolérable de son corset et elle regretta amèrement de ne pas s'être opposée au conseil d'Ophnelle.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant