Chapitre 50

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— Cher neveu, je crois que c'est à vous.

Lyssandre eut toutes les peines du monde à rétablir son attention sur l'échiquier et à sauver son roi de la menace de la pièce adverse. Il soupçonnait Amaury de faire s'éterniser inutilement la partie, pour le seul plaisir de ne pas écouter leur discussion.

Amaury était un virtuose, imbattable à ce jeu comme l'avait été Calypso. Si la partie n'avait pas encore déclaré son inévitable perdant, alors ce devait être parce qu'Amaury prenait plaisir à tromper son ennui.

Lyssandre, quant à lui, avait hérité de la médiocrité de son père.

— Je propose de corser un peu les règles avant que le jeu ne s'achève. Chaque pion que vous me prenez vous donne le droit de me blesser par le moyen de votre choix.

— Et la réciproque ?

— Disons que la réciproque passe soit par vous, soit par cet homme.

Lyssandre considéra Cassien. Il était persuadé qu'il saurait endurer la douleur, quelle qu'elle soit, mais l'idée de l'intégrer à ce marché scandaleux le révulsait.

Amaury était toujours debout et rôdait à proximité de la table, caressait parfois du bout des doigts le bord de celle-ci, puis les sculptures en arabesque qui décorait le dossier de son siège. Lentement, Lyssandre acquiesça et il n'en fallut pas plus pour qu'Amaury avance son fou et ne prenne sa tour.

— Gardien, dit-il.

— Sire ?

— Faites à votre guise.

Le sang de Lyssandre se glaça et celui de Cassien arrosa le sol.

Le Gardien avait attendu ce signal pour attraper la main blessée du chevalier sans que celui-ci ne bronche.

— Inutile de préciser, chevalier, qu'il vous faut accepter le châtiment.

Le Gardien leva la main de Cassien à hauteur de son visage, comme pour le présenter à Lyssandre, pour être bien sûr qu'il ne manquait rien de spectacle. Dix mètres plus loin, le jeune roi devinait la plaie avec une précision répugnante. Le carreau avait été retiré, mais sans le moindre ménagement, puisque les chairs visibles sanguinolaient toujours.

Cassien avait carré la mâchoire, mais n'émit aucun son. Pas même lorsque la prise du Gardien se resserra sur le dos de sa main jusqu'à la broyer. Jusqu'à ce que le sang ne dégouline le long de son avant-bras jusqu'au sol. Bien solidement appuyé sur ses pieds, le chevalier frémit à peine. Le Gardien pressait la main de Cassien comme s'il souhaitait l'essorer de toute sa substance.

— Courageux, votre chevalier. Un autre se serait évanoui.

Un autre, peut-être, mais la guerre avait affuté une résistance à la douleur hors du commun.

— Cela suffit, Gardien.

L'homme lâcha la main, presque à regret, et susurra quelques mots à l'oreille de Cassien. Des mots que Lyssandre ne capta pas, malgré l'anatomie de la salle qui décuplait la portée de chaque son.

Amaury observait son neveu avec une attention presque curieuse. Lyssandre, les yeux arrondis de stupeur, tremblait sur son siège.

— Je crois que c'est à vous.

Cette fois, Lyssandre réfléchit avant de jouer. Il consulta chaque pièce de l'échiquier, mais l'énigme lui sembla insoluble. Les pions d'Amaury l'avaient cerné et il le savait. En fait, il se repaissait du désespoir de Lyssandre, dans ses vains efforts pour échapper à une nouvelle correction.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant