Chapitre 14

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Nausicaa goûta à un air de liberté et un éclat de rire lui fendit le corps en deux.

Un rire libérateur, justement, parce qu'elle n'avait plus ri depuis ce qu'il semblait être une éternité.

Ces éclats furent aussi brefs qu'intenses et la baronne recouvra bien vite tout le sérieux que son entreprise nécessitait. La diversion qu'avait représenté le verre – ou plutôt son contenu, lancé en pleine figure de la baronne avait été inespérée, mais ne durerait pas éternellement. Il s'agissait de ne pas trop tarder.

Elle profita malgré tout de ce répit pour sortir du château par les arcades et inspirer l'air nocturne. Elle s'immobilisa sous une haute angevine et se laissa bercer par la brise douce, fraîche, vivifiante. Le palais condamnait l'air qui s'y infiltrait, en particulier lors de telles occasions. Les vices de ce monde s'y trouvaient concentrés et il semblait à Nausicaa qu'aucune bouffée d'oxygène ne pouvait alors la satisfaire.

Elle considéra l'astre nocturne, qui contemplait ces fastes de son œil unique, blême, qui rappelait des sentiments étranges et contradictoires. Le malaise et le confort, quelque chose de purement dérangeant et de rassurant. Tybalt en avait peur. Il le lui avait avoué à demi-mots, à l'occasion d'une promenade nocturne près de sa demeure, dans l'Est, et c'était alors la première faiblesse dont cet étrange soupirant lui faisait part. Une part d'humanité tapie derrière les méchancetés.

Nausicaa porta sa main à ses joues pour y évacuer le liquide qui l'humidifiait. La jalouse n'y était pas allée de main morte et son intervention ne manquerait pas de faire sensation auprès des nobles pour plusieurs jours. Sauf si, par chance, la série d'incidents probables que cela entraînerait leur épargnerait cette peine.

La jeune femme pinça les lèvres, en proie à une émotion incertaine. Certains souffraient du mal de mer, elle était atteinte d'un mal de terre tel que celui qui affublait les êtres comme elle. Les déracinés.

Nausicaa pensait à Tybalt, puis ses réflexions dévièrent sur Lyssandre. Si elle se sentait seule au monde, qu'en était-il du roi ? S'il était en vie, son cher ami devait souffrir terriblement de son exil. Il était un déraciné au sens premier du terme, là où la baronne ne l'était qu'à un degré plus ténu.

Ou d'une toute autre manière. Du plus profond de son être.

Elle chassa ces pensées sordides de son esprit. Il n'était pas question de se laisser noyer par leur afflux, par leur venin. Elle comptait suffisamment d'ennemis en ce monde pour ne pas en plus devenir la sienne.

Nausicaa remit de l'ordre dans sa coiffure d'un geste machinal, essuya sa nuque du doigt de la main, passa ses doigts le long de son corsage pour y découvrir les traces collantes de champagne, et abandonna. Après tout, puisque les apparences étaient négligées, bafouées, autant les réduire à néant.

Ce palais d'apparats et de luxe ostensiblement dévoilé s'en chargeait assez bien pour deux. Pour tout un Royaume.

Elle reprit sa route la tête haute, décidée à regagner la salle de musique où l'attendait la reine. Elle fut là encore déviée de son objectif par un entrelac de voix, de bruits peu engageants et inhabituels. Sans percevoir l'objet de ce semblant de discussion, elle approcha et entrevit une scène qui lui glaça le sang. Alanguie contre une colonne à l'intérieur des couloirs du palais, une femme était aux prises avec un homme. Elle était manifestement alcoolisée et tentait en vain de repousser les avances pour le moins insistantes et lourdes du seigneur. De dos, Nausicaa ne parvenait pas à l'identifier. Son comportement suffisait à le qualifier, car si sa dame se débattait faiblement, sans grande conviction, ou parce que ses forces lui manquaient, l'homme n'en avait cure. Il avait retroussé les jupons de la toilette féminine jusqu'à laisser voir ses jambes pâles jusqu'à genoux, et était occupé à défaire la boucle de sa ceinture. Seule sa besogne importait et il n'attendrait même pas de se trouver en lieu approprié pour l'accomplir.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant