Chapitre 6

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Le Ciamon avait ouvert ses portes à Lyssandre et il y avait découvert un sanctuaire.

Un sanctuaire érigé à la gloire d'une reine oubliée. Mélissandre teintait les lieux d'une mélancolie profonde, un peu amère, mais douce. Cette mélancolie faisait écho à celle de Lyssandre qui y retrouvait une part de lui qu'il n'avait jamais su envisager.

La nostalgie d'un temps qu'il n'avait pas connu. Un temps passé, depuis longtemps occulté, ou un jour qui n'existait pas encore. La nostalgie d'une époque qui restait à construire.

Lyssandre avait visité chaque pièce comme s'il y mettait les pieds pour la première fois. Il n'avait pas osé toucher les objets, les soupeser au creux de sa paume. Il avait laissé les lieux tels qu'il les avait trouvés, afin de les abandonner derrière lui ensuite inchangés. L'exilé ne savait pas encore quelle décision prendre et il lui semblait que ses tracas n'avaient jamais été aussi lourds.

Paradoxalement, ils s'évadaient à chaque pas, à mesure que Lyssandre mettait de la différence entre lui et ses obligations.

Comme si, au fond, il s'était fourvoyé et que la Couronne ne lui revenait pas. Ou qu'elle ne méritait pas qu'il se batte pour elle, qu'il risque sa vie pour l'arracher aux mains de son oncle.

Lyssandre nourrissait le désir, porté à demi-mot, de demeurer au Ciamon pour toujours. Comme il serait doux de suspendre le cours du temps et de se reposer là, à même le parquet, ou peut-être dans l'un des lits dont il froisserait les draps. Plus de vingt ans après Mélissandre, son dernier fils déambulait à son tour parmi les reliques de sa mémoire.

Lyssandre avait redécouvert les couleurs pâles, le rose délavé et le bleu denim. Le bois blanc donnait aux poutres parfois apparentes un goût exquis et, de l'avis de Lyssandre, ce château possédait une âme bien plus sensible que celle de nombre de monuments. Là où le palais transpirait le luxe à outrance, le Ciamon respirait l'humanité.

Finalement, Lyssandre finit par s'immobiliser devant le seuil de la chambre de sa mère. Y pénétrer revenait à violer un antre sacré, mais d'une certaine façon, l'intru en avait besoin. Pas tant de briser l'interdit qu'il avait lui-même formulé, mais de se sentir au contact d'un lieu symbolique. Un lieu où Mélissandre avait vécu, avait grandi.

Lyssandre prit sur lui pour accomplir le geste qui le tenaillait. Il posa sa main sur la clenche et l'abaissa. Il se glissa dans l'embrasure et fut saisi par ce que dégageait la pièce. Une intimité profonde, et une douceur qui évoquait la caresse d'une main sur la joue. Un lit à baldaquin découpait la pièce en fragments d'ameublements raffinés. Une coiffeuse qui bordait la fenêtre, plusieurs penderies aux reliefs tantôt bleus, tantôt rose, et des objets de décoration sur lesquels Lyssandre posa tour à tour son regard. Du vase, figé dans une verrerie superbe et dont la couleur avait été fumée, à l'assortiment de tasses de porcelaine, en passant par du papier à lettres et une brosse abandonnée sur le bord d'un siège confortable.

Si sa progéniture misait sur ce qu'il avait sous les yeux, il gagerait que sa mère était encore de ce monde le mois dernier. Mélissandre semblait avoir quitté ce monde la veille.

Celle qui deviendrait plus tard reine de Loajess avait été une enfant réservée, un peu solitaire. Le Ciamon était isolé et l'héritière disposait d'une compagnie limitée. Lyssandre l'imaginait devant sa glace, il imaginait le reflet que renvoyait la surface lisse, et la nonchalance naturelle de la demoiselle. Il ne parvenait pas à se représenter l'image avec précision, peut-être parce que sa mort l'avait éloignée du vivant au point où son propre fils ne pouvait pas remonter aussi loin dans ses souvenirs. Fait étonnant, puisqu'une peinture avait rafraîchi sa mémoire à peine eut-il pénétré le Ciamon.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant