Chapitre 39

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Les poumons de Priam se broyèrent dans sa cage thoracique. Plus que l'ahurissement digne des coups de théâtre dont son père avait fait sa signature, Priam vit les contours d'un piège se refermer sur lui.

Il recula d'un pas et Äzmelan devina son intention de fuite, indigne d'un soldat, et le morigéna presque gentiment :

— Voyons, évitez d'alerter tout l'étage. Ni vous ni moi n'avons envie d'un accident diplomatique.

— Mon père n'est pas ici, parvint à articuler Priam.

— J'ai réussi à m'introduire dans le cœur d'Halev. Penses-tu que j'ignore que ton père honorera ses invités de sa présence au dernier moment. Par les temps qui courent, cela tient autant de la prudence que de l'inconscience.

Äzmelan estimait lui aussi que l'on n'était jamais aussi bien servi que par soi-même. Ses paroles sous-entendaient deux choses : que Amaury ouvrait la porte à ses ennemis en ne surveillant en reproduisant une erreur qui avait permis à Lyssandre de réapparaître au grand jour et que le roi ne pouvait pas commettre un impair pour la deuxième fois sans avoir une idée derrière la tête.

— Mais ton père le sait, n'est-ce pas ? S'il ouvre les portes d'Halev, c'est justement pour attirer dans ses filets les gros poissons qui se cachent.

Äzmelan avait piqué l'intérêt de Priam qui s'assit sans rechigner.

— Que savez-vous de ce que mon père prépare ?

— Rien de plus que des hypothèses, mon garçon ! N'inverse pas les rôles, je ne suis pas venu vendre des informations, mais en obtenir !

La méfiance de Priam revint de plus belle, piquée par la honte de l'avoir négligée, ne serait-ce qu'un instant. Il se redressa et considéra longuement Äzmelan qui en fit de même. Comme deux hommes qui ne savaient pas encore s'ils seraient alliés ou rivaux. Priam avait appris à ne pas accorder sa confiance au tyran du Sud et qu'il se soit allié à son père avant qu'il ne prenne le pouvoir par la force ne servait qu'à accentuer sa crédibilité.

— Que me voulez-vous ?

— Une discussion.

— Non.

Äzmelan arqua un sourcil amusé. Il y avait, dans l'attitude de Priam, moins de défiance que de confusion.

— Si vous aviez souhaité une discussion, vous en auriez fait la demande officielle.

— Je n'avais pas de temps à perdre en paperasse. Je ne suis un homme pragmatique. Ce que je veux, je l'obtiens.

— Que voulez-vous de moi ?

Äzmelan fit rouler l'alcool à la robe ambrée dans son verre sans quitter Priam des yeux.

— Tu me plais, petit prince, alors je vais te répondre. Tu es le cousin de Lyssandre, tu as grandi non loin de lui, et tu es aussi le fils d'Amaury, que tu n'as presque pas connu. De tous ceux auxquels j'aurais pu m'acquiescer, tu es le médiateur parfait entre les deux partis qui s'opposent.

Priam observa un silence sérieux. Cette position, elle était un fardeau à ses yeux, mais Äzmelan semblait la considérer comme une richesse.

— Nous allons jouer à un jeu. Ton père en raffole, est-ce aussi ton cas ?

— Oui, répondit Priam.

Il pensait soudain qu'il n'avait jamais joué aux échecs avec son père.

Äzmelan se pencha vers lui comme s'il s'apprêtait à lui confier le secret de la vie éternelle. Priam, sans même sans rendre compte, se pencha à son tour au-dessus de la table, frontière diplomatique et imagée entre eux.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant