Chapitre 48

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La bataille qui faisait rage entre les murs du palais inspirait à Lyssandre comme un sentiment de déjà-vu.

L'impression de revivre inlassablement le même instant, les mêmes combats.

Son château avait déjà été le théâtre d'affrontements similaires. Ceux-ci remontaient à plusieurs mois déjà, à une époque où Lyssandre défendait le palais. Les rôles s'étaient inversés, de sorte que le roi s'interroge sur sa place. Il était toujours animé par l'impression de faire ce qui était juste, mais n'était-ce pas une simple question de point de vue ? Le sien ne pouvait qu'être subjectif et, par définition, erroné.

La porte du palais n'avait pas tenu longtemps. En réalité, les défenses d'Amaury étaient tombées les unes après les autres sans que le maître des lieux ne daigne apparaître. Lyssandre n'avait eu de cesse de guetter les fenêtres encastrées dans les murs, les hommes qui affluaient pour endiguer le flux d'ennemis qui pénétraient l'enceinte du palais.

Ce fut un désordre sans nom. Si Lyssandre s'y était préparé – cette armée, bien que plus digne de ce titre que celle qui combattait à Halev, n'était pas aussi performante que celle qui avait officié à Farétal et l'indiscipline des troupes les rendait hors de contrôle – voir ces hommes négliger le symbole des lieux et leur grandeur, lui nouait l'estomac.

Finalement, ses hommes n'eurent pas à enfoncer la porte pour entrer. Celle-ci s'ouvrit d'elle-même et, avant que Lyssandre n'articule le moindre son, les soldats s'engouffrèrent dans la brèche ouverte. Il leva les yeux pour apercevoir l'ombre de ses ennemis derrière les meurtrières, derrière les colonnes qui escortaient la grande cour intérieure. Les premières flèches sifflèrent, tranchèrent l'air, et les envahisseurs prirent conscience de leur regrettable erreur. Le piège avait été négligé et Lyssandre doutait qu'Amaury y ait mis tout son cœur, mais il permit à son oncle de se débarrasser de quelques dizaines de soldats, avant que ceux-ci ne délogent les premiers archers. Le temps d'y parvenir, une cinquantaine de soldats, peut-être plus, déferlèrent des principales portes du palais.

Lyssandre crut disparaître sous les tumultes de ces marées humaines. Il avait dégainé son épée, mais son poids dans sa main lui sembla insoutenable. Il cherchait une issue des yeux, terrifié de ne pas sentir l'ombre de Cassien abîmée dans la sienne. S'il commettait une erreur, si un soldat parvenait jusqu'à lui, il n'y aurait personne pour lui sauver la mise. Pas d'Artell sorti de nulle part, pas de Cassien non plus pour veiller à ce qu'il ne lui arrive rien.

Lyssandre esquiva l'attaque aveugle d'un des soldats et lui échappa en prenant la fuite. Les hommes s'affrontaient avec un acharnement immédiat, une soif de vaincre que Lyssandre n'avait jamais vue. Ce n'était pas uniquement des pantins en armure qui s'affrontaient. Il y avait des convictions, d'inébranlables certitudes. Ces pantins étaient animés d'un désir qui les imprégnait tout entier. Peu importait ce qu'il les motivait. Certains haïssaient les insulaires, d'autres méprisaient les hommes arrachés à leurs montagnes pour se mêler d'une guerre qui ne les concernait pas, d'autres encore voyaient le salut en la figure d'Amaury, là où leurs ennemis avaient trouvé une honnête raison de le haïr. Ils possédaient des raisons personnelles, ils savaient pourquoi ils combattaient, et cela changeait absolument tout.

Lyssandre chercha, dans la mêlée, des visages familiers. Il n'en reconnut aucun. Même le visage d'Amaury lui aurait paru rassurant. Les pions avaient pris figure humaine, mais la violence les défigurait, les rendait plus hideux qui ne l'était déjà, avec leur conviction partielle et leur rage. Lyssandre resta sans voix devant ce spectacle. Il avait trouvé refuge sous les arcades et il n'arrivait même plus à soulever son épée qui traînait sur le dallage.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant