Chapitre 19

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Lyssandre n'articula pas un son. Son regard se heurta aux traits de Cassien desquels il tenta d'arracher un aveu.

Un pardon.

Cassien se contenta de lui présenter son visage abîmé, aux pommettes violacées par les hématomes et au regard brûlant de rage. Le chevalier était ivre d'une colère que Lyssandre ne partageait pas. Il ne ressentait qu'un désarroi déchirant, une douleur qui lui vrillait l'âme, farouche et indomptable.

Lyssandre entendit à peine Tryarn émettre une interrogation de sa voix âpre et caverneuse. Il ne comprenait pas. Lui qui s'était imaginé surprendre son invité voyait les rôles s'inverser et Artell suivait la scène d'un œil dépassé.

Lui non plus ne comprenait pas.

Car il n'y avait rien à comprendre.

— Veuillez m'excuser, souffla Lyssandre.

Les mots rappèrent sa gorge, esquintèrent sa langue, puis ses lèvres. Il les adressa à Tryarn sans quitter des yeux Cassien. Le chevalier attendait. Il avait cessé de se débattre, de s'agiter. Il avait souhaité être vu de Lyssandre, quitte à se trahir quelques minutes trop tôt. Le prince n'expliquait pas la raison de sa présence, pas plus qu'il ne s'expliquait sa trahison. La seule chose qu'il appréhendait, c'était la douleur, et elle n'aurait pas pu l'étreindre plus violemment.

Lyssandre éructa, avec une surprenante lucidité, que s'il lui était impossible de comprendre, il pouvait au moins saisir l'opportunité de sauver ce fiasco. Le repas ne s'était pas déroulé comme il l'avait imaginé et plutôt que de se laisser prendre de court, de se laisser impressionner, il referma ses doigts sur la lame qu'on lui avait confiée et serra les dents.

— Je ne les tuerai pas. Même s'il en va de ma vie, je ne les tuerai pas.

Tryarn se rembrunit.

— Amaury déclenchera une guerre tôt ou tard. Une guerre ne se règle pas sans violence, autour d'une pièce de viande et un verre d'alcool, fillette.

Lyssandre consulta son propre reflet dans la lame.

Artell fut le seul à le relever, mais Cassien avait tiqué sur le dernier mot. La veine qui battait contre sa tempe avait eu comme un sursaut.

— Je ne suis pas fait pour les batailles, pour les bains de sang, répondit Lyssandre, sans hausser le ton, d'une voix terriblement détachée.

— Et pourquoi êtes-vous fait, alors ?

Lyssandre laissa planer le silence jusqu'à ce que chaque personne présente dans la pièce, acteurs comme spectateurs, retienne son souffle. Il répondit, pour lui-même :

— Pour tout autre chose.

Puis :

— Pour changer.

Lyssandre n'admettrait plus une existence dans la demi-mesure, ne se contenterait plus d'exister, il demandait à vivre. Cette volonté de changement était peut-être née durant ses rêveries d'enfant, ou plus tard, lorsqu'il avait eu conscience que le monde qui l'entourait ne ressemblait en rien au paradis qu'il s'était créé.

Lyssandre ne survivrait pas à l'échec.

Un tic agita la joue de Tryarn sous sa barbe hirsute et il fit signe à l'un des gardes :

— Ramenez celui-ci !

Le premier espion disparut sans se débattre. Il regagnerait les cachots bien volontiers, sans regretter ce camarade étrange, peu causant, et désormais plus que suspect.

Longue vie au roi - T3 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant