Ordre Io

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      Marcher dans les rues délabrées telles une ombre, redouter chaque bruit, chaque tintement, chaque murmure. Contempler les corps ensanglantés, la rivière écarlate sinuer entre les paves. Regarder de loin les ailes des corbeaux, froides et ténébreuses, réduire le peu de souvenir restant des cadavres. Avoir vu la mort, fixer ses yeux vides et sans âmes. Des cauchemars de cette bataille effroyable hanteraient à jamais l'homme qui, debout dans la pénombre, détacha son regard de ceux qui avaient autrefois représenté des amis. Sa lame encore couverte de liquide rouge, il laissa ses larmes se vider de son corps avant de se redresser, et de s'enfuir dans les ruelles.

     La nuit commençait à peine à s'éclairer, ses ombres glissèrent sur les murs de métal, pour rejoindre un endroit où se tapir. Des passants déambulaient, ignorants de l'événement qui venait d'avoir lieu. Quel massacre, que cette nuit de mort ! Il sentait encore la lame froide de ses agresseurs pressée contre sa gorge, le goût ferreux du sang dans mêlé à sa salive. Comme un écho, les cris étouffés de ses compagnons résonnèrent dans son esprit, tandis qu'il sursautait à chaque bruissement, même le plus lointain.

Enfin, sa destination se présenta à lui. Un bar, aux fondations miteuses et à la peinture fraîche et une pancarte "fermé" sur la vitrine fissurée. Un de ses bars ou des bagarres survenaient régulièrement, où des ivrognes tabassaient les autres pour une clope ou un verre. Enfin, presque tous. L'homme se souvenait encore de ce jour, où tout avait changé pour lui. Son opinion à propos du système, de la vie et des femmes. Certes, ce soir-là, il n'avait pas été tendre avec cette pauvre femme, mais il était à cette époque un simple barman, dépourvu d'idées révolutionnaires.

       Maintenant, il avait mûri, réfléchi, pour se forger une opinion. Après une longue inspiration, il franchit la porte à rabat. Une petite pièce à la lumière tamisée l'accueillit ainsi que des tables et chaises en acier où traînaient des verres à moitié brisés et un bar rouge vif devant une grande étagère de bouteilles. Le barman en connaissait chaque pièce, chaque verre, chaque boisson. D'un pas assuré malgré ses tremblements, il s'approcha du bar, puis, frappa trois coups rapides, un long, puis cinq rapides de ses poings. Une voix rauque de femme s'éleva :

- Mot de passe ?

- Her Ném Io, annonça l'homme.

- Ra Esis Io. Bienvenu, patron.

Soudain, une porte sous le bar coulissa dans un grincement, dévoilant une échelle rouillée en bas de laquelle l'attendait la femme, Karol. Des cheveux blond hirsutes et des yeux ternes, ses cotes ressortaient de sa chair tandis que se joues creusaient des sillons le long de son visage crasseux. Elle n'était pas particulièrement belle ou amicale -en fait, c'était le diable personnifié- mais son esprit vif et ses techniques de combat faisaient d'elle un atout précieux, et une amie malgré son caractère asocial. Il descendit pour s'aventurer dans un couloir aussi sombre qu'humide.

- Tu es seul ? Interrogea-t-elle.

- Oui, les autres ont... Échoué.

Un silence résonna, pareils à hommage aux défunts.

- Ils ne seront pas morts en vain, assura Karol. Nous avons presque terminé les préparations. Nos informateurs ont donné leur feu vert.

- Déjà ? Cela fat à peine une semaine qu'ils sont en infiltration.

- Et pendant ton absence, nous avons récupéré ses adolescents. Ils hurlaient "Io" dans la rue.

La lumière pointa au bout du tunnel. Ils débouchèrent dans une immense salle, croisée entre une base stellaire et un dépôt abandonné. Des armes, poignard, basters, revolvers s'alignaient le long d'un mur, des ordinateurs formaient un carré au centre de la pièce, regroupés autour d'une chambre d'énergie. Celle-ci, tubulaire, contenait des fumée bleutées dansant à travers l'air comprimés. Elle servait à alimenter chaque circuit énergique, afin de séparer du réseau électrique la base, pour qu'elle ne soit pas localisée. Plusieurs vingtaines de personnes s'entraînaient, tapaient sur les écrans des ordinateurs ou venaient former une foule autour de leur chef.

- C'est lui, mais où sont passé les autres ? Fusa une voix

- Ils devaient être une dizaine. Remarqua l'une.

- Tous morts ?

- Comment allons-nous faire ?

- On va tous mourir, à ce train-là !

Les murmures, reproches et injures parsemaient la foule telle une nuée d'insectes entourant l'homme.

- Taisez-vous ! Cria celui-ci, n'avez-vous aucune confiance ?

- Après, tant de morts, comment le voulez-vous ?

- Il faut abandonner l'opération !

- Pas question ! Intervint Karol, nous avons l'avantage de la surprise. Ce soir, le gouvernement tombera ! À présent, retournez à vos postes, les autres mouvements ne vont pas tarder à nous joindre, je vous veux fin prêts, c'est clair ?

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