Marc et Hélène attendaient. Assis devant probablement leur dernière tasse de café, ils écoutaient le moindre bruit que l'immeuble produisait. Pourtant ce matin tout est étrangement calme. Ils devaient partir seulement quand la montre aura indiqué 7h12. Alors ils buvaient cérémonieusement le breuvage chaud et corsé, regardant l'horloge de temps en temps. La petite devait arriver sept minutes plus tard dans une petite rue moins fréquentée. Hélène regarda son mari avec un mélange d'amour, d'admiration et d'inquiétude qui déformait son visage juvénile. Lui regardait par la fenêtre. Ils étaient déjà debout, leurs bottes bien cirées frappaient le sol en un rythme régulier et sale. Le jeune homme cracha à leur simple vue :
- Arrête de faire ça !
Marc jeta un regard dur à la jeune femme en face de lui.
- N'oublie pas qu'ils ont volé notre pays et qu'ils profitent de tuer nos frères, violer nos soeurs et torturer nos enfants. Si je le pouvais, je ferai pire.
Hélène en resta figée. Elle n'avait jamais vu son homme aussi remonté. Des frissons lui parcoururent le dos. Elle termina son café alors que nerveusement Marc regardait sa montre.
Il était 7h12.
Ils se levèrent sans rien ranger, mirent leur vestes et leurs chapeaux.
- Marc, promets-moi une chose.
Il se retourna vers elle. Hélène s'approcha de son mari pour sceller leurs lèvres peut-être pour la dernière fois. Marc se raidit, planta ses ongles dans ses épaules, repoussant violemment la jeune femme.
- Tu veux nous tuer ? C'est ça ? Tu veux nous faire tuer ? On ne peut pas se permettre de perdre du temps ! C'est la vie de cette gamine qui est en jeu ! Tu comprends ?
Comme la pauvre Hélène, les yeux en larmes, ne lui répondait pas, Il soupira en descendant l'escalier étroit de leur immeuble. La jeune femme dût le suivre en essayant de retrouver un semblant de composition sur son visage déjà baigné de larme, déformé par la peur.
Ils arrivèrent dans la rue où personne n'était encore, la patrouille était déjà partie mais elle pouvait toujours revenir. Ils rentrèrent dans leur voiture, mit la clé dans le contact. Le court voyage se passa sans un mot, Marc trop concentré sur la route pour voir Hélène douter de lui. La petite devait avoir douze ans. Sa famille, riche et en danger pendant les temps qui courent, voulait la mettre d'abord à l'abri de l'envahisseur en l'amenant dans le Sud. Son père avait demandé les services du couple pour faire passer leur enfant de leur côté. Mais eux n'allaient que l'amener une centaine de kilomètre plus bas et la donner à un autre passeur de confiance. Ce n'était pas la première fois que le couple prenait de tels risques pour faire passer des enfants en sécurité. Mais cette fois-ci, Hélène avait un très mauvais pressentiment qui lui nouait la gorge. Marc était bien sûr trop stressé et calculateur pour vraiment se rendre compte des émotions de sa femme. Il se concentrait sur la route, évitant les rues principales.
Enfin ils tournèrent dans une rue très étroite, très sombre et très sale. Il arrêta la voiture et ouvrit la portière. Il toqua trois fois à la porte. On le laissa entrer et il sortit quelques minutes plus tard avec l'enfant. Visiblement, apeurée, elle entra en silence et se posa sur la banquette arrière. Hélène essaya d'accrocher son regard grâce au rétroviseur mais la jeune fille était tellement timide qu'aucun contact fut fait. Elle pleurait doucement, seule sur sa banquette arrière. Le coeur de la jeune femme se serra d'autant plus.
Marc démarra sans observer personne dans cette voiture. Pour lui, il est seul. Sa femme dort tranquillement chez eux. Il veut à tout prix oublier le risque qu'il prend aujourd'hui. Le soleil se levait lentement, disposant son cercle rouge sur les toits de la capitale. Bientôt seuls les champs de blé et les grands pâturages composèrent leur paysage. La frontière approchait dangereusement. La tension déjà grande augmentait encore à chaque borne. Marc lança un regard en arrière :
- On va bientôt y arriver. Tu es notre nièce et tu vas aller voir tes grands-parents. Tu as compris ?
Elle ne répondit pas mais elle hocha la tête quasi imperceptiblement. Marc pris ça comme un oui et continua à conduire en ignorant tout le monde. Hélène voulut poser sa main sur la cuisse de l'homme de sa vie sans pouvoir s'y résoudre. Elle avait peur de déclencher chez lui une de ses crises de colère qui le prenait souvent quand ils étaient en mission. Le regard implorant de la jeune femme ne pouvait pas faire plier la discipline de fer et la muraille de trac qui enfermait son mari. Cela lui faisait de plus en plus peur.
La frontière se fit voir à l'horizon. Plusieurs voitures devant eux étaient arrêtées, attendaient de passer la barrière de bois blanche et rouge. La voiture du couple s'immobilisa.
- Cache-toi par terre !
- Quoi ?
- CACHE-TOI PAR TERRE !
La petite se mis prestement sur le sol devant les sièges arrières de la voiture. Hélène fixa ahurie l'homme à côté d'elle. Espérons que les gardes-frontières n'aient rien entendu. Pourtant ils arrivent. Ils saluent les passagers, courtois. Ils demandent la raison de leur passage. Ils contrôlent les papiers et souhaitent la bonne journée dans demander plus de renseignements. La voiture passa la frontière.
- Reste par terre. Je te dirai quand tu pourras te lever.
Marc regarda le rétroviseur, le fixant un long moment. Quand enfin il ne vit plus la moindre voiture derrière eux, la petite put se lever. Elle dormit pendant la suite du voyage qui prit encore bien une heure et demie de plus.
Pourtant, le pressentiment d'Hélène n'avait pas quitté sa gorge. Ses yeux rouges piquaient. Elle n'arrivait pas à n'exprimer ne serait-ce qu'une pensée. Elle avait encore plus peur maintenant qu'avant. La jeune femme tenta de respirer sans pourtant y parvenir. Marc ne la considérait même plus. Et cela lui faisait encore plus peur que les envahisseurs.
Ils arrivèrent au point de rendez-vous où deux dames prirent en charge la petite. Maintenant, le couple pouvait revenir sans trop de souci chez eux et attendre le prochain voyage. Le retour fut encore plus silencieux que l'aller. Le pressentiment n'avait toujours pas quitté sa gorge. Son inquiétude grandissait de plus en plus. Elle décida d'en parler à Marc.
- Il y a un problème.
- Quoi.
- Je sais pas. Je sens que quelque chose va mal se passer.
- Tu inventes des histoires pour rien.
- Pourtant...
- ARRÊTE AVEC TES INQUIETUDES À LA CON ! ON A TERMINE NOTRE MISSION. ON VA RENTRER CHEZ NOUS ET TOUT VA BIEN ALLER !
Hélène se tut, étouffée par ses larmes.
- AH NON, TU VAS PAS TE METTRE À PLEURER POUR RIEN !
Sa femme ne pouvait pas s'arrêter. Les larmes redoublaient d'intensité à chaque borne. Puis la frontière. Un agent s'approcha de la voiture, leur demanda leurs papiers. Rien de vraiment étrange en apparence mais le douanier, les sourcils froncés demanda avec un léger accent allemand :
- Pourquoi votre femme pleure-t-elle ?
- Pour rien. Elle pleure tout le temps pour rien.
Le douanier se releva pour se retourner vers un collègue. Ils se chuchotèrent quelque chose puis plusieurs autres soldats entourèrent la voiture.
Marc accéléra, brisant la barrière. Les agents sautèrent dans leurs voitures pour suivre les suspects. Voilà le mauvais pressentiment d'Hélène.
- Sors les capsules.
- Pardon ?
- SORS LES CAPSULES !
Dans la panique, elle fouilla dans son sac à la recherche de leur délivrance. La jeune femme trouva la boîte où le poison se trouvait. Elle prit, tremblante, deux pilules mortelles. Elle en glissa une dans la main de son mari et approcha la sienne de ses lèvres.
- On se retrouvera de l'autre côté.
Il avala son poison comme on avale un bonbon pour la gorge, se laissant mourrir. La vitesse accélérait à mesure que sa vie quittait son corps. Face à la mort imminente, avec la plus grande hésitation, Hélène avala le médicament en embrassant une dernière fois les lèvres froides de son amour.
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Promenades
Proză scurtăRecueil de divers textes courts écrits au fil de l'inspiration. (publications de trois nouvelles par semaine, lancement le dimanche)