Mark

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Perdue dans mon livre, je n'ai jamais été aussi heureuse que sans lui. Sa présence me pesait. Je l'obsédait. Je le savais. Dans son bureau avec moi, un verre de whiskey sur sa droite, sa feuille devant lui, son matériel à gauche, assis, me regardant comme un prédateur dans son fauteuil tiède, il cherchait l'inspiration dans mes traits. Je devais être là. J'étais sa muse. Celle qu'il aimait regarder avec avidité, comme une peinture de valeur, une statue antique dont on admire la beauté. Mais les yeux vides et blancs n'exprimaient rien. Elles n'ont pas d'âme ces oeuvres d'art qu'on adore comme une divinité. Moi oui. Mais il a semblé l'oublier. Il attendait la plume à la main, que l'inspiration vienne, qu'il puisse écrire encore une de ses histoires fades sur un artiste et sa muse. Je ne devais pas parler, je ne devais pas bouger, je devais n'être que sa muse, sa muse de pierre sans âme. 

Il pleuvait quand je suis partie, enfin. J'ai regardé les gouttes tomber sur les vitres du train sans en verser une seule pour ce pauvre être troublé. L'incident qu'il appelait ce moment où je lui ai dit que je ne voulais plus être sa muse, ce moment où il a pris mon poignet dans un geste désespéré d'asseoir sa dominance sur moi. Mais voyant que je ne viendrai pas dans son bureau, que je ne m'essayerai pas dans un fauteuil, que je respirerai enfin, libre de son influence néfaste sur mon âme, il cria, pleura, hurla, parla, négocia, supplia, à genoux même, que je vienne. Je devais avoir pitié de lui. Je devais l'inspirer car je n'étais pas que sa femme, j'étais sa muse. Je déteste ce mot maintenant. Une muse n'est pas vivante, elle n'est pas humaine. Elle n'est pas moi. 

Je me suis levée lentement, montant à l'étage. J'ai fais ma valise et je suis sortie sans l'entendre se plaindre et me prier de rester. J'ai pris le train et j'ai ouvert un livre. Un meilleur que ceux de mon mari maudit. 

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