Et puis, il vient un temps où s'achève une histoire. Celle-ci n'est pas la mienne... plutôt celle de ma mère. Il faut fermer le livre et faire son au revoir. Qu'on en ait pas envie, on en a pas le choix ! Car il en va ainsi du livre de la vie. Alors, pour une messe, on enterre ses douleurs. Et pour une dernière fois, on serre entre ses bras celle qui nous fit naître.
Il n'est plus l'heure des reproches, ni plus que de l'amertume. On a tissé le sens de ce que l'on ne comprenait pas. Et pour toutes les pages qu'il nous restent à écrire, on compose son plus bel aria, son plus bel épître. Cette lettre, je la lui avait tant promise. Mais c'est à sa mort qu'elle m'est venue, comme si plus tôt, l'heure n'en était pas venue. Alors, dans l'église de ce petit village de bocage où mes frères ont grandi, j'ai lu :
« Samedi à midi, l'heure de maman a sonné. Mais douze coups à l'horloge sont bien peu pour toutes les vies qui font son héritage. Sa descendance est immense : 9 enfants, 26 petits-enfants, plus encore d'arrières-petits-enfants.
Mais, pour l'accompagner dans son dernier voyage, pour rejoindre papa dans sa tombe, nous ne pouvons être que 30. Tristement, je sais que si nous avions pu être tous là, elle en aurait été fière, car nous sommes sa plus grande richesse, plus chère que tout l'or qu'elle n'a jamais eu. Elle aurait tant aimé voir réunie l'immense famille née de son amour fidèle et loyal avec papa.
Pour chacun, le temps vient où l'heure se suspend dans un dernier souffle, et dans le soleil de la mi-journée de ce samedi, la sienne s'en est venue sonner que les souffrances et douleurs sur lesquelles elle s'est construite étaient finies.
Mais ce qui reste est heureux.
Il n'est pas l'heure du glas. Au contraire. Que sonnent les cloches à leur plus grande volée pour célébrer la richesse humaine que sa longue vie a pu engendrer, après tant de naissances, de baptêmes, de mariages, de fêtes, d'anniversaires, et malgré quelques tragiques enterrements ; que chacun de leurs battements carillonnent comme un cœur toujours vivant, et célèbrent un à un toutes les vies que sa vie laisse en héritage !
Car avec sa mort, l'histoire de vie qui lui survit continue de grandir comme un fleuve qui n'a pas fini de se répandre, de s'écrire et d'emplir pas moins qu'une mer. Tant, qu'aujourd'hui, on dirait que c'est d'un peuple qu'elle est et sera la mère.
Certes, aujourd'hui, avec maman, et ses quatre-vingt seize années, un siècle s'éteint. Mais d'elle ont germé tant de graines et mûrit tant de fruits qu'il pourrait peut-être en naître pour mille ans.
A regret, nous ne sommes que trente ici, ce mercredi. Mais nous le sommes au nom de tous, descendants et amis, et nous savons que nous ne sommes pas seuls. Tous, ici ou ailleurs aujourd'hui, nous qui sommes son héritage vivant, c'est fiers ensemble que nous nous tenons debout pour exprimer notre respect et lui offrir l'hommage que nous lui devons avec la joie d'être unis par elle, et la fierté de lui rendre la sienne, gagnée au prix de sa souffrance mais aussi de son amour.
Maman, nous sommes les héritiers de ton histoire. Et de ton héritage, aucune part n'est à diviser, car toutes s'additionnent. Tu as sublimé l'expérience de ta souffrance et de la misère pour nous donner dignité et honneur qui font aujourd'hui notre identité.
Adieu maman. Tu as enfin gagné la paix. Tu l'as bien méritée. Repose. Sereine. Et maintenant que tu vas retrouver Papa, serre-le bien fort dans tes bras. Je sais que tu lui as manqué et qu'il n'a jamais cessé de t'aimer, autant que tu lui es restée fidèle. L'un à l'autre, vous êtes à jamais liés. Il est l'heure heureuse pour vous de vous retrouver.
Et, en derniers mots, je veux te le dire aussi cher que mon cœur bat toujours : je t'aime, maman ! Nous tous, nous t'aimons. »
Voilà, l'heure est venue devant la tombe pour un dernier salut. Marie rejoint Auguste dans cette terre plaine où moi, j'ai grandi. Tout est accompli maintenant. Et en dernières fleurs cette chanson :
« c'est aujourd'hui dimanche,
Pour toi, jolie maman
Voici des roses blanches,
Toi qui les aimaient tant... »Il est temps pour chacun d'être en paix. Ou qui sait, pour ceux là, d'écrire leur histoire. Puisse de la semaille ne germer que le plus beau !

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Neuf petits-fils de pute !
Non-FictionAu travers des portraits des membres de sa familles, le narrateur remonte, comme une enquête, l'histoire de sa famille, et en particulier, celle qui fut versés aux non-dits et au secret. Mais il faudra attendre les ascendants pour comprendre le flux...