Pour parler de mon père, pour le décrire et le comprendre, cela ne va pas sans parler de la Vendée profonde dont il était issu, de ma mère qu'il adorait, de sa passion pour la botanique, et de moi, pour le regard qu'il portait sur moi et de l'étrangeté que j'étais pour lui sans que pour autant il me jugea. Cet homme simple, épris de nature, follement amoureux de ma mère jusqu'à l'adoration, discret et pudique, mais si bavard quand il s'agissait de son jardin, contemplatif émerveillé, travailleur acharné, respectueux en sa nature intime, il me faut en dresser tout ce que je sais de son contexte. Car comprendre papa, c'est le comprendre dans son univers. Je ne peux parler que de ce que j'ai vu, car pour le reste, il était muet, autant qu'il fut sourd ses dernières années. Une chose est certaine : Malgré quelques violences, il aima ses enfants. Et bien que je fusse long à décrypter cet amour, je suis sûr aujourd'hui qu'il m'aima.
Mon père naquit en 1920, en bocage vendéen, sur les terres de Réaumur en haut bocage, migrant progressivement au cours de sa vie vers la plaine où il mourut, en passant par le bas bocage. Cette migration progressive de quelques dizaines de kilomètres, apparemment anodine, représente en vérité un changement de culture important, quasiment un changement de civilisation. Quand on pense Vendée, on songe aux chouans. Or, c'est loin de représenter une réalité sociologique.
Les Chouans étaient des habitants du haut bocage principalement, issus du Nord-Est vendéen, du nord des deux Sèvres et du sud du Maine-et-Loire. Certes, ils sont au nombre des Bocains ainsi que l'on nomme en Vendée les habitants du bocage. Mais les Bocains couvrent un territoire qui dépasse largement les terres des chouans. Dans l'ensemble, de l'époque de mes parents, ils étaient et restent encore pour certains, traditionalistes, catholiques, antirépublicains, réfractaires à l'école publique. Ils vivaient alors principalement dans de petits hameaux éparpillés, survivant essentiellement du métayage de la noblesse locale et étaient très dépendants d'elle. Les Bocains vivaient de polyculture, et notamment de l'élevage bovin. Mais les fermes étaient, par rapport à nos jours, ridiculement petites. A ma naissance, la ferme de Papa ne comptait que sept vaches et seulement quatre hectares de terre, dont deux de polyculture, les deux autres étaient des prés. Papa, qui ne manquait cependant pas d'analyse politique, disait qu'en bocage, un âne, pourvu qu'il ait une particule, se serait fait élire aux élections républicaines. C'est de cette manière que la tradition culturelle perdurait. En Vendée, les Bocains sont majoritaires et étaient très tôt endoctrinés. Je dirais même qu'ils l'étaient à leur insu, très reclus sur eux-mêmes. Peu d'échanges avec l'extérieur pouvaient venir questionner les fondamentaux de leurs croyances.
Mais la Vendée est plus composite qu'on ne le croit. Il y a aussi la plaine et ses habitants. Située sur la lisière sud du bocage et sur le pourtour du marais poitevin, on appelle ses habitants les « Piénao » (en francisant, on dirait « les Plaineaux »). Ils sont en droite ligne descendants des Pictons, peuplant les lieux à l'invasion romaine. Les Piénao sont certes catholiques, mais de tradition républicaine. Les terres de plaine étaient principalement tenues par le clergé sous l'ancien régime, mais plus tard par la bourgeoisie terrienne ou intellectuelle locale. A la Révolution française, ils étaient pro-révolutionnaires. Les villages de plaine, à la différence du bocage, forment des agglutinements de maisons plus nombreuses. Sans arbres ni buissons environnants sur les terres plates de la plaine, ces villages groupés aux ruelles tordues formaient la seule façon de couper les vents que rien d'autre ne pouvait empêcher de souffler sur ces terres céréalières, véritable grenier de Vendée.
Enfin, encore plus au sud du département, vivent les habitants du marais poitevin, de tradition républicaine eux aussi, mais, disons, plus de gauche. On les appelait les Maraîchins. Le peuplement de ces marais se fit à la fin de l'ancien régime sous Louis XIV, lors de leur assèchement. Petits propriétaires, vivant sur des lopins délimités par les canaux, ils sont issus de migrations environnantes, ayant fui misère. Après l'assèchement des terres autrefois couvertes par la mer à marée haute, la légende dit qu'ils devenaient propriétaires de leur lopin si, en une nuit, ils construisaient leur maison. Ils commençaient par une petite maison au toit très bas pour éviter prise aux vents. Leur toit était de chaume, les tuiles faisant défaut. Les propriétaires progressivement allongeaient leur demeure en longères maraîchines, les maisons traditionnelles des marais.
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Neuf petits-fils de pute !
SachbücherAu travers des portraits des membres de sa familles, le narrateur remonte, comme une enquête, l'histoire de sa famille, et en particulier, celle qui fut versés aux non-dits et au secret. Mais il faudra attendre les ascendants pour comprendre le flux...