Marie, ma mère, matriarche absolue en quête d'adoration

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Maman est née en 1924 en un village à la lisière entre plaine et bocage, de culture pienao. Alors que papa était le cadet d'une famille de trois garçons, tous trois légitimes et de visages fort ressemblants, maman est née d'une famille de six enfants presque tous de morphologies très différentes. A vrai dire, seule la première sœur de maman lui ressemblait vraiment. La famille de maman, en apparence, n'était pas différente du modèle social environnant. Toutefois, elle ne manque pas d'originalité, de singularité et de détonner dans le paysage traditionnel local, quand on en connaît les secrets. Je dis secrets, mais l'étaient-ils vraiment ? Ce n'est pas si sûr, et en tout cas, pas de tous. Si par certaines voies, ils étaient bien cachés, par d'autres, ils étaient bien connus.

Autant papa était discret quant à lui-même, autant maman a été diserte avec moi tout au long de mon existence à ses côtés. Elle me dévoila l'histoire de sa vie, autant que celle de sa propre mère, distillant au fil des années une saga sombre et cachée. Maman a nourri une relation avec sa mère au sujet de laquelle j'ai peine à trouver les mots pour la décrire, tant elle me semble compliquée. Je n'ai appris que tardivement les secrets de famille, que maman me raconta ; elle ne les avait semble-t-il partagés avec aucun autre avec autant de détails. Cette histoire est si touffue qu'elle m'amène à distinguer le portrait de la mère que je connus, qui avait quarante-trois ans à ma naissance, de la fillette et de la femme qu'elle fut auparavant, tant il y a à dire de sa relation avec sa mère, ma grand-mère, et des conséquences qui en suivirent. Ainsi, ma mère me donna sur ma grand-mère tant d'informations sur son parcours de vie, qu'elles donnent bien des clefs pour comprendre les écheveaux de ses traumatismes et des nôtres, ses enfants.

Ici, je ne décrirai que les relations que j'entretins avec ma mère. Quand je parlerai de ma grand-mère, il sera bien temps de dévoiler enfin la clef de ces mystères.

Ma mère, donc, déposa dans ma boîte à souvenirs les traumatismes de son histoire personnelle dont il semble bien que j'ai été le seul dépositaire complet parmi ses enfants. Fruit d'une complicité certaine, ces confidences n'ont pas été sans incidence sur mon histoire. Mais, ma relation avec ma mère, comment la décrire ? Elle fut une terre de contrastes extrêmes, de la plus forte des tendresses à la plus excessive des violences. J'avais noué avec elle un rapport de dépendance étroit, ou bien ce fut elle qui le noua avec moi.

Je sais par elle qu'elle dissimula ma grossesse le plus longtemps possible par honte, comme je l'ai déjà écrit. Je sais aussi que ma naissance fut empreinte d'angoisse pour elle à plus d'un titre, d'abord par ma jaunisse développée dès ma naissance, mais plus longuement en raison d'une malformation sublinguale qui lui provoqua blessures quand je tétais, des saignements et une forte inquiétude quant à mon développement. Par défaut d'alimentation suffisante, ma croissance fut en effet altérée, et je tombais souvent malade. Entre autres conséquences, mes cycles de sommeil étaient perturbés par la faim. Au lieu de soigner la cause du mal, le médecin de campagne recommanda de ... m'attacher ! Ma mère ne le fit pas, m'a-t-elle dit. Mais la malformation ne fut pas traitée pour autant : je ne fus opéré  qu'à l'âge de cinq ans ! Je sais que je n'ai pas marché sans contact humain avant dix-huit mois ; je restais en effet immobile dès que j'étais laissé seul à moi-même. Je fus en revanche précoce à parler et à parler bien, mais je ne sais précisément ce qu'elle entendait par là, ma langue maternelle n'ayant pas été le français. On peut cependant estimer qu'elle avait quelques points de comparaison en la matière pour en juger. Tout cela, je ne le sais pas par mes propres souvenirs, mais par les siens, de par ce qu'elle m'a raconté au fil du temps.

De mon côté, je me souviens d'un Œdipe marqué, un attachement fort, une anxiété à l'idée d'être séparé d'elle, et ce très tôt. Je me souviens de phobies scolaires dont les symptômes d'angoisse et d'insomnie commençaient une semaine avant la fin des vacances d'été. En somme, aussi loin que remontent mes souvenirs, je me souviens avoir été anxieux. Telle est ma nature. Des causes et conséquences sans fondement rationnel ont fait trop souvent trébucher ma pensée. C'est certain, je me suis attaché à ma mère bien plus qu'il n'aurait été raisonnable. Et pendant trop longtemps, j'ai considéré mon père comme aboulique devant les volontés de maman. Il était à mes yeux bien trop l'exécuteur de ses œuvres pour qu'enfant, je le considère comme une partie autonome des volontés de ma mère. J'ai toujours soupçonné que quand mon père me battait, c'était sur ordre de ma mère, notamment au coucher. Ils avaient sûrement des choses à faire pour lesquelles, éveillé, je devais être gênant. Cette hypothèse d'exécuteur de basses œuvres de ma mère par mon père, bien récemment, me fut confirmée par l'un de mes frères me racontant cette scène d'un ordre récurrent de ma mère à l'intention de mon père envers ses enfants. Auguste est le nom de mon père. Ainsi le nommait-elle, juste avant de lui donner un ordre. Et mon frère se rappelant mon père recevant cet ordre en même temps que cet encouragement à y aller plus fort, elle lui disait : « Allez, tape, Auguste, tape ! » Y a-t-il commentaire à ajouter à cela ? Mon père, par amour, était l'esclave de ma mère. Ses volontés, quoi qu'elles pussent être, il exécutait.

Neuf petits-fils de pute !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant