2 | À part

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Arrivée à la gare de Grenoble, Héloïse sort du wagon avec un rapide « au revoir » à la mamie un peu vexée d'avoir reçu si peu de répartie.

La chaleur est encore plus étouffante qu'à Paris. D'habitude, les températures élevées ne la dérangent pas, mais elle est habituée à l'humidité des embruns salés. Dans la vallée grenobloise, la chaleur claquemurée par les hauts reliefs s'excite et se cogne à grand coups de soufflets qui emmêlent les cheveux frisés de l'antillaise.

En se dirigeant vers le parking, Héloïse ne voit pas son amie. Elle ne s'inquiète pas, Chloé est toujours en retard.

La beauté des montagnes la sort de la torpeur du voyage: « Bondyé ! Peut-être même qu'il peut neiger ici en été ? » espère-t-elle naïvement, tout en se promettant de ne surtout pas demander confirmation à son amie. Elle se régale de ce spectacle qu'elle admire pour la première fois. La candide créole ne s'attendait évidemment pas à une réplique de la Soufrière, mais tout de même ... elle est conquise par la souveraineté des hauteurs. « Qu'est-ce que ça plairait à Emile, lui qui a toujours cherché à tendre sa corde plus haut... ». Par chance, c'est à ce moment que Chloé lui klaxonne la bienvenue, la prévenant de s'empêtrer de nouveau dans le passé.

La grenobloise de cœur avait pourtant vraiment essayé d'arriver à l'heure. Elle tenait beaucoup à donner un accueil chaleureux à sa colocataire, avec qui elle avait partagé quatre années complices dans un petit studio parisien.

Si Héloïse n'avait jamais répondu avec moult enthousiasme à ses grandes déclarations d'amitié, elle s'était en revanche révélée une confidente hors pair. Elle ouvrait ses oreilles et son cœur aux petits tracas comme aux grandes peines, et savait redonner le sourire d'un conseil sage toujours accompagné d'une facétieuse superstition créole. Dans son best-of personnel, Chloé plaçait en tête la légende du Trou à Man Coco. Alors qu'elle jalousait les bonnes notes de Miss Première-De-Classe-En-Tout-Même-En-Sport, Héloïse lui avait habilement conseillé:

- Ne sois pas trop envieuse des réussites de tes voisins. Si tu n'es pas prêtre à en faire le sacrifice, tu seras noyée dans un trou comme Madame Coco!

Elles avaient bien ri cette fois-ci...

Ainsi, l'inviter à son chalet et lui faire découvrir cette région qu'elle aimait tant étaient sa manière de la remercier d'avoir été une si bonne amie.

Quand Chloé l'aperçoit penaude sur le parking de la gare, elle se rappelle en souriant la première fois qu'elle l'a vue: Héloïse se tenait à l'entrée de la fac, ses rondeurs doublées d'une doudoune bibendum par une douce après-midi de mi-septembre. Pourtant, sous ce vêtement ridicule on distinguait des mouvements prodigieusement souples, une gestuelle fluide qui la coulait entre les étudiants comme de l'eau fraîche.

La parisienne se gare au beau milieu de deux places de bus et bondit hors d'un énorme pick-up rouge délavé en claironnant:

- Je n'arrive pas à croire que tu sois venue, et tu ne pouvais pas me faire plus plaisir! Je te promets que tu ne vas pas le regretter, même si on sait toutes les deux que tu as du mal à cadrer plus de trois personnes dans la même pièce. Les montagnes te plaisent? Attends de voir le panorama depuis le chalet, on a une vue imprenable sur l'Ecoutoux!

- Heu... Oui! glisse Héloïse étouffée sous l'étreinte de son amie qui enchaîne aussi sec:

- Presque tout le monde est arrivé, on n'attend plus que Wesley et son pote!

- ...

- Ne me dis pas que tu ne connais pas Wesley! Le chanteur, il me semble qu'il est aussi antillais en plus...non? J'aurais vraiment dû te forcer à sortir plus. Bon allez, monte, on va se faire virer par le bus qui arrive.

Chloé ne tarit pas de paroles, s'enquiert sur son voyage, lui rapporte toutes les rumeurs qui courent sur les autres invités, et lui présente toutes les montagnes qu'elles aperçoivent:

- Le pic encore un peu blanc là-bas c'est la Chamechaude, on la voit mieux quand ce n'est pas trop pollué, la grande corniche comme une proue de bateau avec son sommet c'est Saint Eynard, de l'autre côté tu vois les Grands Crêts et les Petites Roches,...

Héloïse se laisse bercer par le gentil babil de son amie, tout en se demandant si le fameux Wesley des Antilles a entendu parler de Mosaïk.

Elles se garent sur une placette en bordure de la forêt de Corenc, où Chloé annonce "Voilà, maintenant il faut marcher!".

Après dix minutes sur un joli sentier, elles débouchent sur une clairière où se niche une villa en pin, ornée d'une terrasse accueillante et d'un petit cabanon pittoresque. Les larges fenêtres allègent la structure d'une taille autrement imposante.

Les autres jeunes diplômés sortent les saluer. Héloïse reconnaît la plupart des visages, mais pas les noms, que son amie prévenante lui rappelle.

Le premier soir, elle dénote déjà. Les amis de fac sont tout à leur joie de se retrouver et de célébrer ensemble une étape importante de leur vie. Héloïse les regarde, s'amuse de leurs plaisanteries, mais ne se joint pas tout à fait à eux. Elle a franchi le même cap, pourtant elle n'a pas cette même confiance, cette même hâte envers l'avenir.

Elle décroche tout à fait quand la partie de poker vire strip, et va se coucher la première dans le grenier transformé en dortoir.

***

Le soleil a déjà bien entamé sa course lorsqu'un rayon réveille Héloïse fatiguée d'une nuit bruyante, seule au dernier étage. Elle retrouve la plupart des fêtards endormis pêle-mêle dans le salon, n'ayant apparemment pas réussi la prouesse de monter se coucher.

La gymnaste se coule silencieusement entre les corps et comme chaque matin, sort se ressourcer à l'extérieur. Seule Chloé l'aperçoit, et salue sa sortie d'un sourire avant de se rendormir.

Le calme et la fraîcheur de la forêt la rassérène dès qu'elle se glisse entre les arbres. Chloé a mentionné une rivière en bas du sentier pris la veille.

Ce serait l'endroit idéal.

Se guidant au chant de l'eau, elle trouve bien vite une ravine où coule un affluent plus calme que son torrent paternel.

Sur les rochers léchés par les vaguelettes, elle commence ses enchaînements coutumiers, rythmant ses assouplissements de profondes inspirations. Parfois, elle danse, jongle ou encore s'invente un trapèze. Aujourd'hui, c'est l'onde qui la tente. Fraîche, mais elle se baignerait quelle que soit la température.

La belle ne jette même pas un coup d'œil autour d'elle tandis qu'elle se déshabille et s'immerge lentement dans l'eau.

L'ÉquilibreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant