À peine quelques mètres plus haut, sur la route de Saint-Eynard qui peut aussi bien mener au chalet que se perdre dans le massif alpin, une Mercedes 560 violine s'arrête.
Achetée de seconde main, la vieille dame a vaillamment tenu la route depuis Paris ; cet arrêt n'a pour cause que le doute quant à la direction.
Son conducteur avait craqué devant cette voiture d'occasion, pas vraiment une affaire vu son kilométrage, mais la réplique exacte de celle de son chanteur de dancehall préféré à ses débuts. Sans croire aux signes du destin, il y avait quand même vu un petit encouragement.
Les deux amis ne sont pas pressés d'arriver, profitant de chaque kilomètre et de chaque morceau de la compilation RnB. La destination finale commence tout de même à se faire sentir, et après une ultime soirée entre potes dans le bled paumé de Bouliere, ils ont entamé leur dernière étape. Qui devrait être courte, à condition bien sûr de retrouver une âme qui vive pour les renseigner sur le chemin et compenser ainsi l'absence de réseau. Mais si un look bling bling raffiné à beau en imposer sur les scènes de concert, l'effet n'est pas le même dans les villages montagnards.
Quand les pèquenauds du village ont vu sortir l'oiseau de son coupé, l'éclat de la carrosserie se reflétant sur les chaînes autour de sa poitrine basanée, ils se sont indignés : « Mais il sort d'où celui-là ?».
Pendant bien cinq minutes, l'antillais a été dévisagée, de haut en bas puis de bas en haut, la navette n'en finissait pas, à en douter qu'il ait bien parlé français. Et Nico se marrant sur le siège passager pariait tout seul qui de la starlette citadine ou des mannequins premiers prix Décathlon - rayon 3ème âge, aurait le dernier mot. Avec sa jolie parka et son petit foulard de BCBG fraîchement descendu de Paris, il n'aurait de toute façon pas été d'une grande aide.
Connaissant les limites de sa patience, Wesley s'est contenté de se détourner sans plus attendre une réponse de ces « cabris arrogants ».
En fait, Wes se dit qu'il serait tout aussi heureux de repartir maintenant. Quand cette miss l'avait invité à sa fête de remise de diplôme alors qu'il ne la connaissait qu'à peine, il a bien senti que c'était surtout pour lui servir de faire-valoir auprès de ses amis fils-à-papa, au chalet de papa. Mais il avait vu là une occasion de faire sortir Nico de Paris qui avait été reclus dans une petite vie études-maison-église depuis qu'il habitait chez ses grands-parents. Le grand père, ancien capitaine dans la marine, avait exercé une autorité militaire sur son petit-fils. S'il avait asphyxié sa liberté, Nico lui était aussi redevable de s'être sorti de ce grand trou noir dans lequel il s'enlisait. Papi-Capitaine avait Wesley à la bonne « Un gars solide, chrétien, sur qui on peut compter. » et avait évoqué les virées en auto de sa jeunesse. Il lui avait donc permis d'emmener son petit-fils pour le récompenser de quatre ans de bonne conduite, sans rechute.
Et en effet, au fur et à mesure que les kilomètres défilaient, Nico s'était détendu. À 10km, il avait descendu sa vitre et aspiré une bonne goulée d'air qui sentait bon les pneus qui crissent sur le bitume. À 50, il avait pris le volant. À 100, il avait commencé à faire des blagues crétines et à 200 il avait même dragué la pompiste. C'était un sacré tombeur avant que son sex appeal ne soit ébranlé par les profondes cernes noires, les tremblements incontrôlables et surtout la conviction d'être un looser. Mais il remontait, doucement. Alors à 500 km, Wes en homme de cœur estimait sa mission accomplie.
Lui aussi en avait bavé quand il été arrivé à Paris. La première fois que les petits virtuoses du conservatoire, les « pigeons obtus » tels qu'il les appelait, lui avait demandé si on parlait français en Guadeloupe, il avait ri. La première fois. Maintenant, il laisse couler. Il ne s'efforce plus de démontrer qu'avoir pris son bain avec Mozart depuis bébé n'est pas la seule voie pour faire de la musique sa profession.
Nico et lui s'étaient serrés les coudes en métropole. Ami loyal, Wes n'avait jamais perdu contact avec ses amis de l'île, si ce n'est Emile, Kamal et Théo qui pourtant faisaient aussi partie de Mosaïk, comme Nico. Nico restait acerbe à leur sujet, le laissant penser qu'ils n'étaient pas étrangers à son départ pour Paris. Et il était encore moins enclin à parler d'Héloïse . Wes avait bien senti que c'était un sujet à éviter, et il tenait à ce que son ami aille mieux. Pourtant, lui ne voulait pas oublier. Le lyrisme de la troupe d'acrobates l'envoûtait toujours. Parmi toutes ses rencontres, elle seule avait compté et ça lui crevait le cœur de n'avoir jamais tenté sa chance.
Longeant une corniche, une petite barre apparaît enfin en haut de son mobile, du réseau! Faiblard, mais c'est le meilleur score depuis hier. Wes sort de sa caisse, le bras tendu qui cherche dans toutes les directions à faire apparaître une seconde barre. Et c'est là, en contrebas, qu'il la voit. À cette hauteur, ce n'est qu'une silhouette floue, pourtant ses mouvements sont d'une grâce infinie. Médusé, il la regarde tracer dans l'air des vers silencieux avant de se dévêtir et de s'immerger dans l'eau. Fasciné, cependant pas surpris. La revoir est une évidence.
Wesley prend le temps de noter quelques paroles sur le carnet qui ne l'abandonne jamais avant de remonter dans la voiture, sans un mot pour Nico. Curieusement, il ne doute plus de la direction à prendre.
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L'Équilibre
ChickLitHéloïse retourne sur les traces de son enfance en Guadeloupe. Pas seule. À ses côtés : ses rêves d'adolescente, sa peur d'avancer et lui. Lui qui l'a toujours aimé. Héloïse est acrobate mais vacille. Retrouvera-t 'elle l'équilibre ? Un voyage intim...