L'Équilibre

11 | Elle aimerait tant

Eblouie par le soleil matinal qui darde ses rayons à travers la vitre du café, Héloïse s'attarde sur sa tartine dégoulinante de miel. L'or des abeilles rappelle les tons de sa peau métissée et comme elle, chatoie dans la lumière. C'est la première fois que Wes emmène quelqu'un ici.

Le bar central s'ouvre en fleur, une alcôve au bout de chaque pétale. Chaque table est nichée dans un espace ouaté qui invite à la rêverie. L'odeur des viennoiseries fraîches et les airs mélancoliques de bossa complètent la douceur du lieu.

C'est ici que Wes vient chercher un peu de calme quand l'appartement se transforme en squat, ou après une nuit de concert. Le spectacle de miel, de tresses et de peau dorée offert devant ses yeux le récompense d'avoir ouvert les portes de son petit havre de paix.

Il sait qu'elle est pressée de retrouver Emile, mais s'il pouvait suspendre le temps rien que quelques jours... il la ferait danser au rythme de son ka, il laverait sa peine de joie et de musique, il l'emmènerait au studio d'enregistrement, il prévoirait un concert et réserverait la meilleure place, ...

Et la dernière chanson, la plus belle, je lui dédicacerai.

Il pourrait même essayer de l'impressionner, de la séduire ! Il se reprend et se retient de s'emballer. C'est un tout autre programme qu'il les attend.

Il soupire. Assez fort. Héloïse l'interroge du regard et la crainte se lit dans ses yeux.

Ça y est. Il a changé d'avis. Il m'abandonne à son tour.

Elle repose sa tartine, prête à faire face. Les yeux de Wes sont remplis de regrets.

- Je sais que tu n'as pas trop le cœur à ça, mais... dans d'autres circonstances, j'aimerais beaucoup t'emmener à un concert, te présenter à mon groupe, je suis sûr que vous vous entendriez aussitôt ! Certains sont aussi danseurs, d'autres jongleurs...

Abasourdie, Héloïse reste muette. Son visage s'allonge, sa bouche reste fermée en une ligne fine. Elle n'a effectivement pas du tout le cœur à ça.

Wes s'arrête là. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle réponde avec enthousiasme, mais il pouvait toujours en douter. Il baisse la tête, la désillusion est cruelle. Déstabilisée, Héloïse ne sait que répondre.

Peut-être que Wes a raison ? pense Héloïse. Que Nico a raison ? On ne peut rien pour le passé, rien pour Emile ... et vivre nos vies est le seul moyen d'aller de l'avant ?

Pourtant, elle ne peut s'y résigner.

- Wes... murmure-t 'elle en posant sa main sur la sienne. J'adorerais t'écouter en concert et rencontrer ton groupe. Oui, j'adorerais ça !

Elle est surprise de constater à voix haute à quel point ses mots, prononcés pour le réconforter, sont vrais. Elle aimerait tant se laisser gagner par sa bonne humeur, partager leurs passions et pourquoi pas ? Allier leurs talents.

Encouragé par les yeux rêveurs, Wes tente encore :

- J'adorerais qu'on fasse un spectacle ensemble.

Il lui reprend la main, mais Héloïse fait une petite moue comme si ce n'était qu'un beau rêve risible.

- Mais t'as raison Wes, je ne vois pas comment je pourrais aller m'amuser en sachant que... enfin. Nico t'as dit où retrouver Emile, et c'est pour ça qu'on est là.

Oui, ça Wes ne le sait qu'un peu trop bien.

-Ok. Alors écoute. On va aller le voir ce soir.

- CE soir!

Bien trop tôt selon Wes. Quelques textos à des connaissances choisies l'ont renseigné, non sans peine, sur le programme de « Chez Tonton ». Le sous-sol du bar « Chez Dédé » rue Ambroise-Paré est réservé aux intimes. Dédé pour les imprudents, Tonton pour les initiés. C'est là qu'Emile, soit « L'Indien qui Brûle » selon son nom de scène, s'annonce ce soir.

- Oui, ce soir. Mais attends. Tu m'as demandé pourquoi je venais avec toi ? La vraie question, c'est sous quelles conditions.

Wes regrette ses mots en voyant les grands yeux de biche levés vers lui. Elle serait prête à accepter n'importe quoi.

Il soupire à nouveau.

-Je veux juste que tu me fasses confiance. Que tu restes près de moi. Que tu ne tentes rien d'imprudent. Cet endroit ... est sans doute le plus mal famé de tout Paris.