6 | Rythmes et Gestes

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C'est en cuisine que l'équipe rouge a pris sa revanche. Ils surprennent les affamés d'un couscous poulet-merguez: les légumes sortent de la boîte mais la viande a été grillée au barbecue. Les bleus ne rendent pas les armes pour autant, la belle se jouera le lendemain. En guise de dessert, un cageot de nectarines et de pêches.

Rassasiés, les corps se font plus lourds, les esprits se détendent, même les langues s'engourdissent. Certains se calent plus confortablement, savourant la mollesse des sens en se resservant un verre de vin. Tandis que la pénombre s'installe, d'autres vont chercher des jeux et des bouteilles. Ils rapportent aussi un vieux djembé qui sommeillait sous l'escalier et la guitare délaissée de Chloé, la corde aiguë rompue depuis des années en frisotis.

C'est le regard d'Héloïse qui incite Nico à prendre la guitare. Tel qu'elle le connaît, il ne résisterait pas à l'envie de gratter un air ou deux. Un regard ignorant de quatre années passées à vaciller, à tomber et à s'accrocher.

Néanmoins, Nico attrape la guitare fermement et plaque quelques accords amputés de leur octave. Wes qui lui l'a vu s'écorcher paumes et genoux, l'encourage d'un sourire. Nico commence un air facile, un air connu. La mémoire gestuelle ne trahit pas. Ses doigts sont trop heureux de retrouver les positions familières. Ils ravivent quelques vieux tubes qui ne tardent pas à entraîner le groupe et à faire chanter même les plus timides.

La musique n'a pas son pareil pour embraser une foule. Les convives qui ont recouvert toute leur énergie, vocalisent maintenant à qui mieux mieux. C'est la guitare qui doit maintenant les suivre, et elle aussi donne en puissance. Les voix divergent et la cacophonie n'est plus très loin. Alors Wes s'empare du djembé, souffle la poussière d'un revers de main et impose un rythme pour qu'ils s'entendent.

Le timbre n'est pas aussi profond et la caisse résonne avec moins d'ampleur. Mais comme avec son ka habituel, Wes frappe la peau avec dextérité pour invoquer les sons caraïbéens zoban, mitan et fonsyé qui chantent en soprano, ténor et basse. Son tempo a la solidité du ka boula et son jeu la malice du ka makè.

Allègre, Nico gratte et joue de plus en plus fort jusqu'à ce qu'une corde lui claque entre les doigts, dans grand « Zing! » salué par l'éclat de rire d'Héloïse.

Surpris par la joie soudaine de son amie retrouvée éteinte, Nico a une idée. Une idée folle, une envie fantôme, à la lisière de risquer leur amitié fraichement éveillée. Mais si ce n'est pas maintenant, alors quand? N'est-ce pas le seul moyen de retrouver son amie d'enfance, de la retrouver vraiment ?

Attentif aux émotions qui l'entoure, Wes commence un rythme de padjanbel qui exprime joie et liberté. Nico sort sa balle de jonglage, la dorée, que chacun gardait. Un jeu de cinq qu'ils avaient acheté après leur premier spectacle quand ils s'étaient nommés « Mosaïk ». Il la sort, la tend à Héloïse, comme un appât pour attirer la danseuse hors de sa tanière.

Elle évalue la ruse. Il suffirait qu'elle sorte la balle sœur. Elles se reconnaitraient et s'élanceraient, étendant une cape invincible sur leurs épaules d'acrobates.

Héloïse fait jaillir sa réponse étincelante, prestement rattrapée par Nico.

De leurs mains ils font naître des cascades, saisissant lestement quelques fruits verts pour compléter la danse. Sans formuler une seule intonation, ils enroulent un passing à quatre temps, la gestuelle retrouvant ses habitudes.

Ce sont deux feux follets qui virevoltent, d'une grâce qui éblouie leur adresse. Ils s'aperçoivent en souriant qu'ils reprennent d'instinct les enchaînements de Bèt a Fé. Personnifiant des lucioles, ils jouaient ce conte de nuit pour mettre en valeur la lumière des torches enflammées. Une fable née de l'imagination de Théo où se côtoyaient l'irréel, représenté par les jongleurs et l'éthérée, incarné par Emile descendant d'un astre céleste sur un fil imperceptible. Privée de ses autres artistes, la chorégraphie retombe sur un Romeo's revenge, six balles rebondissant en miroir.

Wes change alors de rythme pour un lewoz, conversant avec les acrobates qui inventent une pirouette à tour de rôle. Nico fait rire avec des pitreries maîtrisées tandis qu' Héloïse a un pas plus poétique, mystifiant la souplesse de ses mouvements. Ils se retrouvent sous une fontaine de six sphères que Wes farceur décide de faire chahuter. Il leur envoie une nectarine de plus. Puis une autre, et une autre encore, et à chaque fois son sourire brille un peu plus. Une de plus et le tout s'écroule sous l'hilarité générale. Les jongleurs ripostent d'un beau fruit mûr qui finit sa lourde course éclaté sur le djembé.

Chloé applaudit joyeusement avant de s'approcher d'Héloïse comme pour s'assurer qu'elle ne rêve pas : Mon Héloïse éteinte, une belle de gaieté ?

L'ÉquilibreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant