La nuit s'est refermée sur la voiture qui file doucement vers Paris. Voilà déjà plus de sept heures qu'ils sont partis, et Wes regarde sa passagère endormie avec envie.
On n'aurait pas dû s'arrêter aussi longtemps. C'est vrai que je ne roule pas très vite... le GPS indiquait 5h30 de route, mais on a déjà roulé pendant bien plus longtemps... Seulement parce que je suis prudent ! s'affirme Wes en baillant.
La monotonie de l'autoroute est propice au va-et-vient des pensées. Ce n'est pas ainsi qu'il connaissait Théo, Kamal, Emile, ou encore Héloïse. A voir Mosaïk en spectacle, le groupe paraissait fort, soudé, presque intimidant. Mais à écouter Héloïse, on a plutôt l'impression qu'il s'agit d'un patchwork de bras cassés malmenés par la vie. C'est une curieuse impression que d'avoir été invité à passer en coulisses.
Ils arrivent enfin aux abords de la capitale. A 23 heures passées, il y a peu de bouchons, mais la circulation n'est pas fluide pour autant, surtout aux alentours d'Orly. Il faut traverser Essonne, les Hauts-de-Seine, et Issy-les-Moulineaux pour enfin arriver au 16ème arrondissement. Wes s'y est déniché un vieux grenier aménagé en un semblant de loft, qu'il sous-loue à un ami qui a le sens des affaires. Ils sont deux colocataires à partager 47m2 et une petite cabine de douche.
Pas le grand luxe... songe-t-il en coulant un regard vers Héloïse. Il pourrait la déposer chez elle. Mais est-ce qu'il en a vraiment envie ?
- Hé, On est arrivés.
Il la réveille en lui caressant la joue timidement.
Elle ouvre de grands yeux ensommeillés. Le visage de Wes à deux doigts du sien. Elle remarque une fossette qui souligne son demi-sourire. Une petite bulle éclate dans son ventre.
- On est à Paris?
- Oui, près de chez moi, il faut marcher un peu parce que je n'ai pas de place de parking ... mais tu préfères sans doute dormir chez toi?
Il se gratte un peu la tête, soudain mal à l'aise.
- Non. répond-elle déterminée en ouvrant sa portière.
Après avoir laissé les souvenirs ressurgir, la dernière chose dont elle ait envie est de se retrouver seule, et encore moins dans l'espace qu'elle partage d'habitude avec Chloé. Et puis Wes pourrait changer d'avis. Elle ne lâchera pas son ticket pour retrouver Emile.
Ils marchent bien 15 mn, empruntant des ruelles de plus en plus sombres. Wes prie pour que son coloc ait un peu rangé. Et aéré aussi. Que la salle de bains (un bien grand mot) soit dans un état présentable. Il aurait dû se garer encore plus loin, ils s'approchent bien trop vite et il ne sait toujours pas si Rémi a lu son message.
Arrivés à son immeuble, il guide son invitée dans la cage d'escalier en montant les six étages au ralenti.
Quand il ouvre la porte, un puissant courant d'air les accueille, suivi du fracas d'un battant de fenêtre, une porte qui claque et un grand pantin qui court en gesticulant pour fermer le tout.
Wes le condamne d'un regard noir.
- Ben quoi mec, tu m'as dit d'aérer... heu salut... tu dois être Héloïse? Moi c'est Rémi.
- Salut, sourit Héloïse en retenant son rire.
- Ah au fait, y'a Titi qui va passer, il vient chercher son ampli... bon ciao j'y vais.
Et le grand pantin sort vers sa destination inconnue.
La nouvelle venue détaille discrètement ce nouvel univers. C'est un grand bazar vivant où on se sent immédiatement bien, comme si les deux canapés défoncés s'exclamaient « Nous n'attendions que toi! ». L'un d'eux doit servir de lit à ses heures perdues, comme en témoigne la couverture pliée à la va-vite sur le dossier. Le plafond est remarquablement bas, découpant une mezzanine dans l'espace déjà biseauté.
Wes se cognerait presque la tête, et quant à Remi ... on se demande comment il peut vivre dans un endroit si peu adapté à sa morphologie.
Sur la table basse, un Mac Pro ensablé de chips, une table de mixage, un casque audio, un micro, ... En relevant le regard, Héloïse s'aperçoit qu'il y a du matériel sono partout : des grosses enceintes, des platines, des câbles, et d'autres instruments qu'elle ne saurait nommer. Tout un équipement professionnel, visiblement financé par les économies sur le loyer.
Des rêves négociés avec le confort...
- Tu peux poser tes affaires dans ma chambre, c'est là.
Il ouvre une petite porte sur la droite. La pièce est exiguë, mais chaleureuse. Un grand lit défait, une guitare, un piano électrique, une armoire qui baille et un coffre qui doit contenir bien des trésors.
- Attend je vais changer les draps.
Héloïse repère un autre lecteur CD, et plein, plein de disques, éparpillés un peu partout.
Quand Wes revient les bras chargés de linge, elle remarque son regard voilé de fatigue. Il est presque une heure du matin et il a roulé depuis la veille... Elle culpabilise de ne pas avoir pris le volant, et lui adresse pardon dans un regard.
Une voix cristalline interrompt soudain leur dialogue silencieux.
- Hé ho, il y a quelqu'un ? Pourquoi y'a plus de bière dans le frigo?
Héloïse sursaute légèrement.
- Quelle cireuse, elle vient toujours me casser les pieds celle-là...
Wes repart vers l'entrée, Héloïse se coulant derrière lui, aussi curieuse qu'intimidée.
Dans la salle, un derrière bien moulé dans un jean skinny noir ressort du frigo. La propriétaire se relève en balayant ses longues mèches sous son bob noir. Une blonde magnifique, encore plus grande et fine que Rémi, se jette sur Wes.
- Wes !! T'es déjà rentré ?! Je suis tellement contente!
Elle lui claque un baiser sur la joue avant de reprendre :
- Marley joue au Karik Club ce soir, viens on descend!
- Pas ce soir, on a eu une longue route et on est claqué, dit-il en signalant Héloïse.
-Oh.
Le sourire de la blonde a fané d'un coup.
- Ok. Bon. A une prochaine alors.
Et elle repart comme elle est venue, en laissant la porte grande ouverte.
Héloïse se demande si elle aurait mieux fait de rentrer chez elle. Est-ce que je dérange? Les deux canapés semblent soudain plus hostiles. Rémi qui sort, elle qui repart...Wes a sans doute envie d'aller la rejoindre. Et non, je ne suis pas jalouse ! retorque-t-elle à sa petite voix.
Comme s'il devinait ses pensées, Wes souffle en râlant:
- Je ferme la porte, fini les cireurs, on va enfin pouvoir ...
Mais la porte s'ouvre à la volée, sans lui laisser le temps de finir sa phrase.
- Yo mec! Je viens de croiser Mimi, t'aurais pu lui dire de prendre mon ampli, ça m'aurait évité de monter! Oh, salut toi. ajoute-t 'il avec un grand sourire alléché.
Wes excédé lui répond un peu sèchement:
- Salut, Héloïse-Titi, Titi-Héloïse, et ciao, prends ton ampli et laisse-nous dormir.
- Pas de soucis mec, s'exclame-t 'il les yeux qui brillent. Bonne nuit !
***
Un moment plus tard, Héloïse rouvre les yeux dans une pénombre affaiblie. Est-ce déjà le matin ou a-t 'elle seulement fermé les yeux ? Les souvenirs révélés plus tôt peuplent l'obscurité de la chambre, dissipant le sommeil mais pas la fatigue.
Une faible lueur sous la porte attire son attention. Elle s'avance et ouvre, tout doucement.
Elle n'avait pas remarqué que Wes portait une chaîne autour du cou. Sur sa peau nue, l'éclat argent scintille.
Il est en train de griffonner dans un carnet en fredonnant tout bas. Sans chercher à entendre les paroles, ni à révéler sa présence, Héloïse relâche sa tension contre le cadre de la porte. Elle retournera se coucher dans un moment. Quand l'aura de sérénité qui émane du musicien l'aura gagnée.
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L'Équilibre
Genç Kız EdebiyatıHéloïse retourne sur les traces de son enfance en Guadeloupe. Pas seule. À ses côtés : ses rêves d'adolescente, sa peur d'avancer et lui. Lui qui l'a toujours aimé. Héloïse est acrobate mais vacille. Retrouvera-t 'elle l'équilibre ? Un voyage intim...