Chapitre Huit

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— Tu avais raison !

C'est la première chose que je m'exclame en faisant irruption dans le bureau de maman. Assisse dans la chaise de la Reine, légèrement tournée vers l'écran de télévision accrochée au mur de droite, je la vois se saisir de la télécommande et de couper le programme qu'elle était en train de visionner. Je n'ai pas eu le temps de distinguer le sujet, mais l'hypothèse la plus probable, c'est moi.

— T'étais trop curieuse pour attendre le débriefing de tes secrétaires ? la questionné-je d'une voix amusée.

— Pourquoi attendre un débriefing quand je peux voir, en direct, comment tu t'en sors ?

Je rigole tout en m'installant face à elle, quelque peu épuisée par cette nouvelle expérience. J'espère ne pas être dans un tel état après chaque engagement où il me faudra ajouter des siestes dans mon planning !

— Et donc, comment je m'en sors ?

— Tu t'en es sortie à merveille, ma chérie. Mais je n'en ai jamais douté, tout comme ton père et ta grand-mère. En parlant d'elle, justement, j'ai reçu un appel et je crois que nous allons devoir ajouter un couvert pour ce soir.

— Tu crois ? Je suis pratiquement certaine que tu avais déjà prévu de rajouter une assiette à la table.

— Comment le sais-tu ?

— Parce que je commence à bien cerner grand-mère. Même si elle ne t'a prévu qu'il y a dix minutes, tu savais déjà il y a plusieurs semaines qu'elle viendrait dîner le jour de mon premier engagement. Elle est beaucoup trop curieuse pour attendre, ne serait-ce que demain, d'avoir mon ressenti et pour me donner des pistes d'améliorations ou d'autres conseils. Je suis certaine que tu avais prévenu Madame Millet il y a déjà plusieurs jours, ai-je tort ?

— Tu es décidément très perspicace, répond maman hilare.

— Juste observatrice. Grand-mère n'est pas très difficile à comprendre. Je suis sûre que si elle le pouvait, elle m'accompagnerait lors de ma tournée, pour me chaperonner.

— Eh bien, maintenant que tu en parles, elle l'a déjà proposé. Mais ne t'en fais pas, j'ai réglé la question après un long débat d'au moins une heure.

— Oh non...

Nous éclatons de rire presque en cœur. L'idée m'aurait plutôt plu, mais je ne suis pas certaine que ça aurait été une aussi bonne idée sur le long terme. Je dois me débrouiller seule après tout, je ne peux pas constamment me reposer sur les autres. Le faire durant ma première tournée aurait été bénéfique sur certains points, mais aurais-je réussi à le faire seule par la suite ? Difficile de sortir d'une situation confortable pour affronter la réalité la fois suivante. C'est du moins comme ça que je le ressens. J'ai l'impression que si je ne saute pas dans le vide tout de suite, il me sera plus dur de le faire dans quelques mois ou dans quelques années.

Et puis, il y a aussi cette sensation d'avoir tant raté et tant de choses à rattraper. Je ressens le besoin de mettre les bouchées doubles, d'avancer beaucoup plus vite, d'apprendre sans m'arrêter. Je sais que je suis la suivante. J'ignore quand, le plus loin possible je l'espère. Mais qu'importe combien de temps il me reste, j'ai peur d'avoir toujours la sensation d'être à la traîne. D'avoir des lacunes sur le protocole, sur notre monde de vie, la société mondaine et l'Histoire du pays, de notre famille royale.

Je sais que toutes ces émotions et ces besoins ne viennent pas entièrement de la douleur d'avoir été séparées des miens toutes ces années. Ils sont alimentés par une certaine colère. Par un rejet. En me rejetant quotidiennement, Philippe m'a donné envie d'être meilleur que lui. Parce que je ne veux plus qu'il me reprenne sur un sujet ou qu'il me regarde de haut. Je veux être son égal, rien de plus, rien de moins. À défaut d'être aimée, j'aimerais au moins qu'il me respecte. Est-ce que son regard de dégoût qu'il y a à chaque fois que nous sommes dans la même pièce pourra disparaître ? Ou, au moins, s'atténuer avec le temps ? Je l'espère tant...

Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant