Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)

Chapitre Dix-sept

 Je suis là à attendre, le regard fixé sur mon reflet qui s'embellit de minute en minute. Le maquillage est léger, tout doit paraître naturel : un membre de la royauté ne doit pas paraître trop maquillé, sauf en de rares occasions. Mais lors d'engagements auprès du peuple, le ton doit être neutre, ou le plus sobre possible en tout cas. Les paillettes sont réservées au bal, mais elles ne doivent pas non plus être dans l'excès. Les diamants et autres pierres précieuses sont suffisamment scintillants pour ne pas être obligés d'en rajouter sur les paupières.

C'est grand-mère qui m'a appris ça, et je me remémore ses bons conseils tout en me faisant chouchouter. Sa voix dans ma tête me permet de ne pas trop stresser, même si je la sais anxieuse à l'idée que je sois loin du château cette fois-ci. Ils le sont tous et attendent de voir ce que donnera ce véritable premier engagement. Celui effectué dans ma ville comptait un peu « pour du beurre », car j'étais dans la capitale. Ici, c'est différent. Je ne peux que compter sur moi-même, car aucun d'eux ne pourra me rassurer avant le départ ou me réconforter à mon arrivée. C'est la première fois depuis mon arrivée, et encore plus depuis mon dix-huitième anniversaire, que je me sens réellement une adulte. Quelque chose dépend de moi, de ce que je suis, de ce dont je suis capable.

Le suis-je ?

J'espère que la réponse est oui. Car, si ce n'est pas le cas, je devrais me résoudre à l'idée de céder ma place.

— Souhaitez-vous manger ou boire quelque chose avant le départ, made...

Anya ne termine pas son mot, se rappelant notre conversation de ce matin. Je ne lui en veux pas : je sais que les habitudes sont tenaces et qu'il lui faudra quelque temps avant de s'y habituer. D'autant que nous sommes entourées.

— Non, merci Anya. Le petit-déjeuner était suffisamment copieux, je pense même avoir trop mangé. Heureusement, je rentre toujours dans mes vêtements, ajouté-je sur le ton de la plaisanterie.

Ma coiffeuse, ma maquilleuse et mon assistante se mettent à sourire. Je note dans un coin de ma tête qu'il me faudrait essayer plus souvent ce genre d'échanges. Cela pourrait me permettre de sentir ces échanges moins formels.

— Mais je crois que j'aurais besoin d'une bouteille d'eau fraîche dans la voiture. Ma gorge a tendance à s'assécher lorsque je commence à stresser.

— Je vais m'en occuper, dit-elle en hochant la tête. Nous partons dans quinze minutes, m'informe-t-elle ensuite en jetant un coup d'œil à sa montre. Avez-vous bientôt fini ? questionne-t-elle la maquilleuse.

— Laissez-moi une dernière minute, et nous serons bons.

— Parfait.

Lorsque la minute est écoulée, ma maquilleuse m'inspecte une dernière fois avant d'acquiescer la tête d'une moue satisfaite. Elle débarrasse ensuite ses affaires de la coiffeuse et mon reflet m'apparaît à nouveau. Il n'y a plus aucune trace de fatigue ni même de quelconques imperfections. J'ai un teint resplendissant et je me trouve même jolie, ce qui n'avait jamais été le cas auparavant. C'est à peine si je pensais à mon apparence. Je n'avais jamais mis de mascara auparavant et ne connaissait absolument rien en maquillage d'ailleurs. Heureusement que je n'ai pas à m'occuper moi-même de ma mise en beauté, car cela serait un vrai désastre.

— Bien mesdames, reprend Anya, je pense que nous pouvons accorder quelques instants à Son Altesse royale, vous pouvez disposer.

Je remercie Anya d'un timide sourire. J'ignore si elle l'a vu dans mon visage, mais j'avais effectivement envie d'être seule quelques minutes avant de partir. Le temps de reprendre mon souffle et de m'armer de courage avant de descendre. Une fois que toutes sont sorties de ma chambre, je me lève à mon tour et me place devant le miroir sur pied. Je me regarde sous toutes les coutures, sans vraiment savoir ce que je cherche. Un défaut peut-être ? Mais cela me semble bien stupide : mes tenues ont été choisies avec soin et regardées à la loupe pour que tout soit parfait. La seule chose qui pourrait me faire défaut, c'est moi-même.