Chapitre Onze

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Je suis assise là, le regard perdu sur le paysage rural qui défile par delà la vitre du wagon. Nous avons démarré il y a de cela dix minutes et je n'ai qu'une hâte : que le décor que j'admire se tapisse de verts et de bleus. J'ai toujours beaucoup aimé la nature et, bien que le palais soit doté d'un grand espace vert, ce n'était pas si satisfaisant que ça. Les hauts murs en briques blanches étaient constamment là pour me rappeler que je n'avais pas le droit de sortir du palais sans assistance, sans protection. À travers cette tournée, j'aspire aussi à avoir quelques moments à moi, seule, dans le monde. Cela paraît impossible, je sais. Il y aura toujours au moins un garde du corps à quelques mètres de moi, mais sait-on jamais. Peut-être réussirais-je à concilier mes envies et les besoins de sécurité liés à la couronne.

— Votre Altesse Royale ?

Mes douces rêveries s'effacent aussi vite que le décor tandis que je tourne la tête vers mon interlocutrice. Anya est debout, m'adressant un sourire assez... inquiétant.

— Oui ?

— On m'a demandé de vous donner ceci quand vous serez installée dans le train, mademoiselle.

Sans attendre, elle me tend une enveloppe. Assez fine pour ne contenir que quelques feuilles de papier. Probablement une lettre, mais de qui ? Je m'apprête à poser la question à mon assistante personnelle, mais pour une raison que j'ignore, les mots restent bloqués dans ma gorge. Une étrange sensation me parcourt l'échine, sans que je parvienne à en saisir le sens. Je commence à me faire des hypothèses quant au contenu et à l'émetteur de cette lettre. Maman, papa et grand-mère me paraissent les plus plausibles. Si tel est le cas, les larmes risquent de faire leur apparition. Je préférerais être seule pour la lire, cependant je suis beaucoup trop curieuse pour attendre ce soir, pour qu'un tel moment se produise. Alors je l'ouvre, bien déterminée à répondre à mes deux questions : qui et pour quoi ?

« Adélaïde »

C'est le premier mot qui est écrit et qui réduit à néant les chances que ce soit l'une des trois personnes citées plus haut. Tous auraient débuté avec un surnom affectueux. « Dela » pour grand-mère et « ma chère » pour papa et maman.

« C'est plutôt froid » murmure une voix dans ma tête alors que je reprends ma lecture.

« Adélaïde,

Ma thérapeute m'a suggéré de mettre par écrit ce que je ressens, ce que je pense. Il semblerait que cela a un effet libérateur sur l'esprit et les émotions. Je n'ai pas encore d'avis à te donner sur ce point.

Elle m'a également suggéré d'écrire des lettres destinées aux personnes avec qui j'ai une relation difficile. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la liste est plutôt longue.

Normalement, je ne devrais pas les remettre aux personnes en question. Elle m'a dit de les brûler, de les ranger dans un coin. C'était, encore une fois, pour me libérer. Néanmoins, après en avoir écrit plusieurs, j'ai trouvé son idée complètement stupide. Alors voilà pourquoi tu lis ces lignes.

Je n'ai pas encore décidé de la tournure que prendra cette lettre, ni même sa longueur. J'essaie de ne pas sombrer dans la colère, comme à chaque fois que je pense à toi.

Je sais, ce n'est certainement pas ce que tu souhaites lire, mais au moins je ne suis pas un hypocrite. Ce n'est pas une excuse quant à mon comportement, j'en ai bien conscience. Un comportement que je regrette à certains moments, quand la colère arrive quelque peu à se dissiper.

Tout le monde, y compris toi, doit penser que je fais une crise d'adolescence à la suite d'un bouleversement familial et d'une dose de jalousie. J'imagine qu'il y a de cela. Il faudrait demander le diagnostic à ma psy, parce qu'elle refuse de me le donner.

Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant