Chapitre Vingt-deux

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Je suis toujours là, plantée dans cette serre, les yeux perdus sur les lèvres de Toby qui se meuvent. Mais les mots sont tel un écho qui n'arrivent pas à parvenir jusqu'à moi, seule sa première phrase a été entendue et, depuis, je suis dans un état second. Tout s'est arrêté et la peur m'a encerclée dans une bulle qui est sur le point de se fissurer. J'essaie de la garder intacte, car je sais qu'une fois que la réalité sera revenue à moi, tout va m'envahir et je suis terrifiée quant à la réaction que j'aurais envers moi-même.

Les lèvres de Toby ne bougent plus. Le temps se serait-il vraiment arrêté ? Si le temps peut s'arrêter, peut-on revenir en arrière ? Puis-je revenir quelques minutes plus tôt, assis sur le sol de la serre, à profiter du silence et de la paix de cet instant ?

J'aimerais tant que ce soit le cas... Mais si les lèvres de Toby ne bougent plus, ce dernier a fait quelques pas dans ma direction et, en clignant des yeux, ma vue devient plus nette et ses traits alarmés me ramènent à la réalité. Ses lèvres s'entrouvent à nouveau, mais les mots que j'entends proviennent d'une voix différente de la sienne.

— Votre Altesse ?

J'aimerais me tourner vers Lord Geffreys, mais je n'arrive toujours pas à bouger. Il me faut une telle force pour me répéter la première phrase de Toby, et surtout pour l'accepter, que je n'ai absolument plus aucune énergie pour bouger le moindre muscle de mon corps.

— Votre Altesse, répète-t-il. Il faut que vous partiez sur-le-champ. En combien de temps pouvez-vous être prêt ?

Cette dernière question ne m'est pas adressée. Je n'ai pas besoin de voir Lord Geffreys pour savoir que ce n'était pas moi qu'il regardait en la posant.

— Nous pouvons partir immédiatement à l'aéroport... Nous devons partir immédiatement, rectifie-t-il. L'équipe de Son Altesse royale restera ici pour boucler les valises et partira dans un deuxième temps, si cela vous convient bien sûr.

— C'est évident. Je vais quérir notre chef, afin que vous ayez de quoi manger durant le trajet.

Toute mon attention est focalisée sur le visage de Toby, si bien que je comprends que Lord Geffreys est parti grâce à ses pas et au bruit de la porte qui se ferme derrière lui. Ensuite, le silence envahit à nouveau l'espace, et je suis toujours pétrifiée sur place, incapable d'accepter la vérité et l'urgence de la situation.

— Adélaïde...

Son murmure brise la bulle dans laquelle je tente, en vain, de rester cloîtrée. Elle est en train de se fissurer tout autour de moi et de laisser entrer l'inévitable.

— Adélaïde, répète-t-il, il faut vraiment que nous partions si tu veux pouvoir...

Ses mots se perdent. Cette fois-ci, ce n'est pas moi qui refuse de les entendre, c'est lui qui est incapable de les prononcer. Parce que c'est trop dur d'expliquer une telle chose. D'expliquer qu'il ne lui reste plus que quelques heures avant de...

Et cette vérité est un électrochoc qui fait disparaître immédiatement les quelques traces de ma perplexité, de mon déni. Je finis par hocher la tête sans être capable de retrouver l'usage de la parole et je fais un pas, puis un autre, et avant même que je ne remarque les suivants, nous sommes déjà dehors à travers l'imposant jardin. Mes pas se transforment bientôt en une véritable course effrénée. Une course contre la montre. Une course pour l'atteindre au plus vite.

Nous nous retrouvons en un instant devant la maison. La voiture est déjà prête à partir, Phoebe est devant la portière, et alors que je m'apprête à quitter pour de bon cette maison, des bruits de pas derrière moi me font m'arrêter. J'ai presque failli oublier mon hôte, même si je suis sûre qu'il ne se serait pas formalisé si j'étais partie sans lui dire au revoir. Je me retourne machinalement et, avant d'avoir pu prononcer le moindre mot de politesse, Lord Geffreys m'encercle dans ses bras et m'attire à lui. Je reste figée un moment, surprise par un tel élan de la part de cet inconnu qui s'est montré très peu locace. Je le laisse néanmoins faire, sans réussir à lui rendre cette attention, les bras pendants le long de mon corps.

Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant