Chapitre Six

1.1K 137 8
                                    


J'ai mis la question « Toby » de côté quelque temps, étant incapable de trouver une réponse satisfaisante. Autant pour moi que pour les autres. J'ai d'ailleurs pu compter sur la discrétion de maman, qui n'a pas eu l'air d'en avoir parlé à d'autres membres de la famille, hormis papa, et qui n'a pas relancé le sujet depuis. De plus, concentrant mon temps libre entre la chambre, la salle à manger et le bureau de maman pour finaliser l'organisation de mes engagements, je n'ai pas eu l'occasion d'apercevoir le jeune homme en question.

Mais désormais, à quelques heures de mon premier engagement officiel, j'appréhende de la revoir. Ce sera la première fois depuis mon bal et depuis que maman a soulevé toutes ces questions. C'est un stress dont je me serai bien passée, mais je n'ai pas le choix : je ne peux reporter cette visite ni même demander un autre garde du corps. Cela ne ferait qu'éveiller les soupçons de toute la famille, en plus de manquer de respect à Toby et à monsieur Sutton. Cela serait trop soudain en plus d'être une réaction totalement illogique.

Je tente de faire de mon mieux, à la table du petit-déjeuner, pour paraître sûre de moi et sereine. Je comprends que je suis en train d'échouer lamentablement lorsque je remarque le sourire crispé que m'adresse maman. Une grande partie du petit-déjeuner se déroule dans une atmosphère très pesante et lourde, jusqu'au départ de Lilianna et Philippe qui sont attendus à leur école respective. Une fois seule avec les parents, des premiers mots timides s'élèvent avec douceur.

— Moi aussi, j'étais aussi stressée que toi lors de mon premier engagement solo. Tu verras, tout ira bien.

— Tout s'est bien passé pour toi ?

— Dès que la porte de la voiture s'est ouverte et que j'ai posé le premier pied à terre, ça s'est passé à merveille.

Je hoche la tête, pas vraiment rassurée par ses mots et peu encline à lui confier que la source de mon stress, du moins à cet instant précis, n'est pas ce qu'elle croit.

— Il est encore tôt, reprend-elle. La coiffeuse et la maquilleuse n'arriveront pas avant deux heures. Tu devrais aller te prendre un bon bain, peut-être que ça t'aidera à te détendre, au moins un peu.

— Mais avant, ajoute papa plein d'entrain, il vaudrait mieux finir ton assiette. Il est plus difficile de gérer une situation de stress avec le ventre vide.

Je jette un œil à mon petit-déjeuner que j'ai à peine touché. Mon chocolat chaud doit être froid désormais. C'est peut-être pour un mieux, j'ai suffisamment chaud pour en rajouter. Je décide de terminer mon croissant, un peu machinalement, et l'esprit ailleurs. Papa a raison, cela ne sert à rien de rajouter à cette journée des crampes parce que je n'aurai rien mangé. Je me force malgré le manque d'appétit. Une fois terminé, je m'éclipse de la pièce avec l'idée de suivre un autre conseil, celui de maman cette fois. Je me retrouve dans ma salle de bain sans réaliser le chemin parcouru ni même me rendre compte que j'ai déjà commencé à faire couler l'eau.

Il ne me faut que quelques minutes après être entrée dans l'eau pour regretter le silence qui envahit la pièce. J'aurais dû mettre quelque chose en fond, comme de la musique. Cela aurait pu empêcher mes pensées et mes angoisses de prendre le pas sur tout. Sur l'excitation de participer à ma première représentation publique, ma curiosité quant à cette vie que j'ai manquée, la joie d'en faire enfin partie et de me prendre en main. La découverte aussi, sans oublier la fierté que doivent ressentir mes parents. Il y a une tonne de bonnes choses qui sont censées émerger de cette journée, pourtant je n'arrive pas à en être submergée. Il y a comme un blanc d'émotions, entrecoupé par une vague de peur, de doutes et de questionnements. C'est tout... et puis rien. Trop à la fois et puis le néant. Ce sont les montagnes russes et c'est difficilement gérable.

Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant