Chapitre Vingt-quatre

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J'ai eu un moment de doute lorsque j'ai déposé ma main sur la poignée de la porte. Un moment de peur qui m'a pétrifiée sur place. Je n'avais aucune idée de ce à quoi elle pouvait ressembler, des machines auxquelles elle pouvait être reliée ni même si elle était éveillée ou endormie.

Mais j'y suis entrée, car j'étais attendue et que je souhaitais aussi la voir, aussi pénible que soit la situation. J'ai gardé la tête baissée en entrant dans la pièce, ainsi qu'en fermant derrière moi. Et puis, doucement, j'ai relevé la tête...

La première chose qui me surprend, c'est le manque de lumière. Il fait encore bien jour, il doit être à peine seize ou dix-sept heures, mais il y a peu de clarté dans la pièce. Les volets ont été presque entièrement fermés, et la seule source de chaleur provient d'une lampe de chevet allumée du côté droit du lit. Du côté gauche, il y a maman. Maman et ses grands yeux bleus larmoyants, mais qui me renvoient aussi une douceur que je ne peux expliquer. Une douceur qui m'invite à m'avancer. Doucement, sûrement, péniblement. Je garde les yeux rivés sur elle. Incapable de les poser sur celle qui se tient dans le lien. Terrifiée de ce que je verrais. Paniquée à l'idée de me remettre à pleurer, car j'essaie d'être forte. Pour elle, pour maman, pour moi.

Mais plus j'avance, plus c'est inévitable. Je ne peux pas éternellement l'esquiver. Alors je tourne la tête, doucement, avec appréhension et angoisse. Et je dois me retenir de ne pas me remettre à pleurer ou, pire, de ne pas m'enfuir. Parce qu'on a beau tout s'imaginer, la réalité sera toujours différente et plus bouleversante que notre imagination. Parce que même si j'ai imaginé que grand-mère serait reliée à des machines, qu'elle aurait un masque pour respirer — ce qui est d'ailleurs le cas —, je n'avais pas imaginé la blancheur de sa peau. Une blancheur qui se confond presque les draps de la même couleur. Je n'aurais pas pu envisager, un seul instant, que son aspect pourrait me bloquer d'une façon aussi nette sur place.

Et mon cœur se remet à battre dans ma poitrine à une vitesse folle, trop vite, trop fort.

Comment puis-je rester calme ? Combien puis-je ne pas sombrer dans un moment pareil ? Comment ne pas hurler ? Comment ne pas pleurer ?

Je suis à nouveau sur ce fil, tendu à des centaines de kilomètres au-dessus du sol, et sur lequel j'essaie de rester en équilibre. Je ne peux plus bouger, de peur de tomber d'un côté comme de l'autre.

— Maman, murmure la mienne.

Je cligne plusieurs fois des yeux, car c'est la seule chose que je suis capable de bouger pour le moment. Cela me ramène à la réalité, suffisamment vite pour remarquer que la main de maman s'est posée délicatement sur la joue de grand-mère, assoupie.

— Maman, répète-t-elle, Adélaïde est là, maman.

Un imperceptible mouvement de paupières nous signifie que grand-mère est en train d'émerger de son état ensommeillé. Dans quelques secondes, elle ouvrira les yeux et je dois profiter de ces quelques instants pour reprendre pleinement conscience de mon cœur et trouver une autre position. Je ne peux pas rester là, figée, debout, loin d'elle. Alors je me force à faire les quelques pas qui me séparent de son lit et à m'asseoir fébrilement sur la chaise libre qui a été disposée juste à côté d'elle.

Au même moment, les paupières de grand-mère se soulèvent avec lenteur, et je retiens mon souffle. Je jette un regard furtif à maman, qui est tout aussi figée que moi. Nous avions toutes deux peur du moment où grand-mère...

C'était encore trop frais, trop dur de ne serait-ce que le penser. Je sais que ce moment arrivera bien assez tôt, mais je ne peux me résigner à le concevoir ni à l'accepter. Surtout pas à l'accepter.

Nos Années Volées - Tome ✯✯✯ © (La Découverte)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant