My First Time [ Tome 1 ]

3• Le professeur

Je ne saurais dire si je suis timide mais je reconnais aimer mon confort. Je me plais tellement dans mes habitudes, si bien que chaque petite chose qui sort de l'ordinaire a tendance à me stresser.
Mais il est aussi des moments où je parviens à m'étonner. Comme c'est le cas aujourd'hui.

J'observe avec attention Monsieur Lee Yeon, notre professeur d'histoire, discuter avec Joy et Irène dans sa classe alors que le cours est terminé depuis un moment. Wendy se trouve à mes côtés mais n'en semble pas ravie. Elle aurait aimé l'admirer de plus près. Il est vrai que notre enseignant a tout juste la trentaine mais encore un visage de poupon. Ses yeux sont d'un vert si clair que nous avons mis tant de semaines pour oser lui demander si la couleur était naturelle ou due à des lentilles. Le résultat va bientôt tomber puisqu'il a demandé aux deux courageuses de l'attendre à la fin du cours pour avoir la réponse.

Lorsqu'ils reviennent vers nous, le sourire éclatant, je me dis que la discussion est allée plus loin que des beaux yeux.

— On fait comme ça les filles, ponctue Monsieur Yeon. Vous pouvez venir toutes les quatre et inviter des amis à vous. On organise la suite par téléphone.

Je cligne des paupières, me demandant si j'ai réellement entendu cette invitation sortir de la bouche de mon professeur.

— Vous êtes le meilleur Monsieur Lee, lui répond Joy, en s'accrochant à son avant-bras.

Je recule sous le choc pour eux deux. Il se passe quoi ici?

— On vous adore! Renchérit Irène, en posant sa tête sur son biceps.

Suis-je la seule encore en état de constater qu'il y a un truc qui ne va pas?

— Je sais, je sais. Et je sens qu'on va bien s'amuser les filles. Allez, ne trainez pas, vous avez cours.

Je me glace lorsque son regard tombe sur moi. Non, je ne compte pas m'amuser avec cet adulte, si c'est ce à quoi il pense.
Sa main rabat ses cheveux en arrière pour donner un semblant d'ordre mais les mèches retombent aussitôt sur les côtés. Après une salutation, il ferme la porte, nous poussant ainsi à nous éloigner du lieu que je considère maintenant comme dangereux. 

— Je suis amoureuse, soupire Joy.
— Moi d'abord, grogne Irène. Tu ne le chopes pas samedi, sinon je vais voir dès demain Jungkook pour me le faire.
— C'est bon. Je te le laisse, mais t'es chiante.
— Ya quoi samedi? Demandé-je timidement.

Après un regard inquiet autour de nous, les deux instigatrices du futur drame à venir nous entraînent sous un escalier.

— Samedi, Monsieur Lee organise une fête dans sa villa, me répond Joy.
— Quoi? Notre professeur ?
— Oui. Et il nous a chargé d'inviter ceux qui arriveraient à s'éclater sans poser de problème. Dans le genre flic ou parents.

Si j'en crois leur envie de sauter sur le professeur, cette demande les arrange.

— Fais pas cette tête, Yeri, soupire Irène. On dirait que t'es choquée sur trois générations.
— Surtout qu'il met sa villa et son jardin à notre disposition, reprend la cheffe de la bande. On peut emmener des tentes si on veut y passer la nuit.
— Et il fournit l'alcool!!! Dis plutôt ça, reprend sa copine.
— Sans déconner?! Intervient Wendy. On peut se bourrer la gueule gratuitement et sans adulte?
— Tout à fait. Grâce à lui.

Elle peut préciser "grâce au professeur qui visiblement veut se taper ses élèves".

— Mais... Ça ne vous choque pas que cette idée vienne d'un enseignant?
— Non. Je crois qu'il se sent plus proche de nous que des ses collègues de cinquante ans, me répond Joy. Et il ne force en rien. Chacun est responsable de lui-même là-bas. Si t'y mets les pieds et qu'il t'arrive un truc, tu assumes. Mais surtout, tu te tais. Pas d'adulte à aller voir, pas de police.

Clairement le scénario catastrophe qui donne envie de fuir.

— Tu insistes sur le silence car ce qu'il fait est illégal, c'est ça? Donner de l'alcool à des mineurs, les inviter sous son toit, les loger sans surveillance...
— Tu parles comme une vieille, je te jure. Parfois c'est flippant.
— On va bien choisir nos invités pour que cette fête soit épique. Vous allez voir, dimanche, nos MP seront saturés de personnes qui voudront faire partie des élus. On tient quelque chose d'exceptionnel, jubile Irène.
— Et si ça s'ébruite vers la mauvaise personne ?
— Alors on se fera un plaisir de faire de sa vie un enfer, me répond Wendy.

En résumé, si je veux agir avec maturité, je signe pour un harcèlement intensif. Et si je participe, je m'engage dans une expérience lycéenne inédite.

— Tu es avec nous, Yeri? Me teste Joy.

Je sais que ma réponse sera lourde de conséquences. Dois-je réfléchir à mes actes ou puis-je être un moment comme ces filles, sans craindre le pire et profiter de l'instant présent?

— Oui. Vous pouvez compter sur moi.
— Parfait, me lance Joy. Je m'occupe de la liste. On se réunit chez moi samedi à 18 heures pour la préparation.
— Il nous faut juste un chauffeur, dit Irène dont le cerveau semble en surchauffe.
— Yeri, ton frère il a le permis et une voiture. Tu as pour mission de nous arranger le coup.

Ce qui signifie qu'il sera au courant de ma destination finale. Je vois le drame arriver.

— Je...
— On les invite justement? Toute la bande à Changbin, demande Wendy.
— Ça fera trop de monde, on se les garde pour la prochaine fois. Comme ça je pourrais mieux gérer qui je m'envoie dans la tente, lui répond Joy.

Parce que mon amie a l'intention de coucher avec plusieurs garçons à ses côtés, ok. Comment ne pas se sentir en décalage totale avec cette fille alors que mes lèvres n'ont pas été touchées depuis des années?

— Les filles, on est au début de quelque chose d'incroyable. On va marquer l'histoire du lycée.

Elles ne se retiennent même plus de sautiller et de pousser des petits cris stridents, attirant l'attention de tout le monde. Je cesse de les écouter lorsqu'elles évoquent les tenues qu'elles mettront et la liste des potentiels invités. Je ne pense qu'au problème que représente Changbin. Il n'acceptera jamais que je me rende à cette soirée organisée chez mon professeur, et encore moins de me donner un coup de main en emmenant les filles. Je dois donc trouver un taxi de secours et ça risque d'être compliqué car personne n'a le permis en première.

Seule Wendy me jette quelques regards suspicieux devant mon détachement. Je vais devoir mieux cacher mon appréhension pour ne pas me placer dans la ligne de mire de ces filles.
Je fais peut-être partie de leur groupe mais n'ai pas la même relation que leur trio solide.

Très vite au fil des heures, la nouvelle d'une soirée secrète et sélective se répand. Tous ne fixent que Joy qui mène ouvertement la danse. Mon amie se délecte des populaires qui viennent la flatter tandis qu'elle humilie sans retenue les loseurs qui osent l'approcher d'un peu trop près.
Je suis consciente que cette fille a un fond horrible et me demande très souvent pourquoi je reste à ses côtés. Qu'est ce qui fait que j'ai été choisie alors que je n'ai strictement rien de différent avec la fille qui a été renvoyée sous les rires des lycéens ?

Ne voulant pas participer à tout ça, je m'éclipse vers la BCD pour travailler sur mes différentes évaluations. Cet endroit nous protège du stress de la vie sociale car n'y viennent que les personnes motivées dans les études.
Je m'installe comme à mon habitude à côté de ce mec châtain aux traits fins, très discret. C'est une routine de se retrouver à la même table, celle au premier étage à droite, qui a une vue sur l'escalier et le rez-de-chaussée. Parfait pour regarder tout ce qui s'y passe. On ne parle jamais. J'ignore son nom et évite même de croiser son regard.

Tout ce que je sais de lui est qu'il est perfectionniste. Je l'ai déjà vu déchirer ses dissertations de colère. Sa patience est limitée mais il semble si énigmatique.

Son regard rencontre tout à coup le mien. Je baisse aussitôt les yeux, gênée d'avoir été surprise dans mon observation. Je crois voir la naissance d'un sourire à la commissure de ses lèvres, puis me replonge dans mon travail.

Je ressens alors l'envie de lui plaire. Peut-être devrais-je retenter l'opération maquillage pour être prête samedi?
J'ai quatre jours pour faire des tentatives et voir ce qui lui plaît.